Willy Pelletier

Willy Pelletier est sociologue (Université de Picardie). Il a codirigé Pourquoi tant de votes RN dans les classes populaires ? (Le Croquant, 2023) et Manuel Indocile de sciences sociales (La Découverte, 2019). Il est l’auteur, avec Julie Gervais et Claire Lemercier, de La Valeur du service public (La Découverte, 2021).

Claire Lemercier

Claire Lemercier est historienne (CNRS), spécialiste des relations entre État et entreprises. Elle est notamment l’autrice, avec Pierre François, de Sociologie historique du capitalisme (La Découverte, 2021), et, avec Julie Gervais et Willy Pelletier, de La Valeur du service public (La Découverte, 2021).

Julie Gervais

Julie Gervais est politiste (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), spécialiste de la haute fonction publique et des cabinets de conseil. Elle a notamment publié L’Impératif managérial (Presses universitaires du Septentrion, 2019) et, avec Claire Lemercier et Willy Pelletier, La Valeur du service public (La Découverte, 2021).

La Haine des fonctionnaires

« Les fonctionnaires, soumis désormais à des contraintes de rentabilité, peinent à servir leurs missions d’intérêt général. Ce livre montre leurs vies, au plus près de l’accomplissement de leurs tâches. »

Tout le monde connaît l’équation : fonctionnaires = feignasses = pas rentables = emmerdeurs = protégés = profiteurs = archaïques = inutiles = à compresser. D’où vient son incroyable puissance d’évidence ? Et quels intérêts sert-elle ? Pourquoi certains (hauts) fonctionnaires comptent-ils parmi ceux qui la répètent le plus ? Pourquoi autant d’insultes contre celles et ceux qui voudraient servir le public en toute égalité, et si peu envers les actionnaires, les employeurs ou les pollueurs ?
Pour répondre à ces questions, ce livre part d’idées reçues, de scènes de la vie quotidienne et de stéréotypes. Nous entraînant dans les coulisses de la fonction publique, il dévoile les réalités vécues par les agents de ménage, les ouvriers des voiries, les secrétaires de mairie, les enseignants, les gardiens de prison et bien d’autres. Le dénigrement des fonctionnaires n’est en réalité qu’un prétexte à la détérioration accélérée des services publics. Ainsi, pour l’ensemble des usagers qui souffrent de leur disparition, pour celles et ceux qui en ont assez qu’on stigmatise ces métiers, il s’agit de ne pas se tromper de cibles et d’organiser la riposte : il en va de notre bien commun.

Brève histoire du néolibéralisme

Comment les États ont consacré la toute-puissance des marchés.

Brève histoire du néolibéralisme retrace un processus de redistribution des richesses, une « accumulation par dépossession ». La financiarisation, l’extension de la concurrence, les privatisations et les politiques fiscales des États redirigent les richesses du bas vers le haut de la hiérarchie sociale. Les néolibéraux se moquent de l’enrichissement collectif. Ils lui préfèrent celui de quelques-uns, dont ils font partie.
Le néolibéralisme n’est pas une pensée du bien commun. Et pourtant, c’est de cette conception de l’action publique que nous sommes aujourd’hui à la fois héritiers et prisonniers. Le néolibéralisme s’est transformé en institutions. Ces dernières ont produit des dispositifs d’intervention publique, construits sur la durée, qui façonnent des manières d’agir et de penser. À commencer par cette quasi-règle de nos sociétés contemporaines, selon laquelle le marché serait le meilleur outil de satisfaction des besoins humains. Formulée de la sorte, la proposition étonne peut-être. Elle est pourtant le principal pilier de l’édifice. Celui que David Harvey nous invite, en priorité, à abattre.

Le corps d’exception

« Parmi les membres de la nation, il y a ceux qui lui seraient originellement liés et en seraient les membres authentiques – ce sont les garants de son intégrité – et puis les autres, dont le lien est construit et donc artificiel. »

À l’époque coloniale, le corps indigène est soumis à un état d’exception permanent. Ce procédé est au cœur de l’institution de l’indigénat. Sur le plan juridique et politique, le sénatus-consulte rend le droit musulman et les coutumes des colonisés incompatibles avec la moralité républicaine, tandis que sur le plan culturel, le colonisé est représenté comme indigne de la qualité de citoyen – bien qu’il soit membre de la nation française. Inclus en tant qu’exclu, il se trouve assujetti à un régime légal qui établit au cœur de l’État de droit une suspension du principe d’égalité.
Cette exception juridique et politique n’a toutefois pas disparu avec la décolonisation, comme le montre la fréquence des crimes policiers dans les quartiers populaires ou le caractère xénophobe et répressif des lois successives sur l’immigration. Les représentations discriminantes demeurent vivaces dans la société française d’aujourd’hui, et la violence institutionnalisée s’abat depuis des décennies sur les populations issues des anciennes colonies. Le Corps d’exception fait la démonstration implacable de cette continuité.

Gloire

« Je n’ai jamais côtoyé de célébrités. Aujourd’hui, je peux dire que je n’en connais aucune, à la différence de ma mère et surtout de mon père qui m’a laissé entendre qu’il avait eu une relation avec la chanteuse yé-yé Sheila, quand il était étudiant à l’institut Fournier. »

Un matin, David, un brocanteur, m’avoue que, pour lui, commercer n’est qu’un hobby : il est avant tout joueur de poker professionnel, activité qui, dit-il avec enthousiasme, lui ouvre des portes vers d’autres mondes. Autour des tables de jeu, lors des tournois, il rencontre des stars, des gens uniques comme Patrick Bruel : peu d’intermédiaires nous en séparent, le monde est petit.
L’écriture de nos échanges courants nous permet de retracer ces relations, parfois hasardeuses, parfois apparemment plus nécessaires, qui nous relient, de proche en proche, à une vedette, une gloire : Patrick Bruel mais aussi Didier Raoult, Sophie Marceau, François Fillon, Christiane Taubira, Bernard-Henri Lévy…
Gloire reconstruit ces tissus d’affections et de désaffections, de liaisons et de déliaisons, et les constitue en formes sensibles de nos capitaux sociaux.

Marx écologiste

Pourquoi nous avons besoin de Marx pour penser l’écologie.

À en croire l’opinion courante, Marx et le marxisme se situent du côté d’une modernité prométhéenne, anthropocentrée et ne considèrent la nature que pour mieux la dominer et l’exploiter, selon une logique productiviste qui fut historiquement celle du capitalisme et du socialisme. L’écologie, comme discipline scientifique et comme politique, devrait ainsi se construire en rupture avec l’héritage marxiste ou, au mieux, en amendant celui-ci considérablement pour le rendre compatible avec des préoccupations qui lui étaient fondamentalement étrangères.
Qu’en est-il vraiment ? John Bellamy Foster montre, textes à l’appui, que ces représentations constituent sinon une falsification, du moins une radicale distorsion de la réalité : des textes de jeunesse aux écrits de la maturité, inspirés par les travaux de Charles Darwin et de Justus von Liebig, grand chimiste allemand et fondateur de l’agriculture industrielle, Marx n’a jamais cessé de penser ensemble l’histoire naturelle et l’histoire humaine. S’il faut aujourd’hui tirer de l’oubli la tradition marxiste et socialiste de l’écologie politique, c’est que la perspective marxienne en la matière possède une actualité brûlante : l’une des questions les plus urgentes n’est-elle pas de savoir si la crise écologique est soluble dans le capitalisme ?

Les Frontières de l’« identité nationale »

« L’injonction à l’assimilation pour la naturalisation correspond non seulement à la soumission à un ordre, mais aussi à un critère étatique conditionnant l’entrée dans la communauté nationale. »

Les frontières des États-nations se traduisent par la séparation entre les nationaux et les étrangers. La procédure de naturalisation permet aux étrangers d’appartenir à la « communauté nationale », mais cela passe par la démonstration de leur assimilabilité. La notion d’assimilation constitue en effet la matrice du droit de la nationalité, et le « défaut d’assimilation » est un des principaux motifs de refus de naturalisation des candidats à la nationalité française. Promue sous l’Empire colonial, cette notion polysémique permet à la communauté nationale de maintenir la distinction entre les Français blancs de métropole et les Autres. Si l’on met de côté la connaissance de la langue, les principales motivations avancées pour caractériser ces défauts d’assimilation touchent aux questions du hijab, de la polygamie et de l’« islamisme ».
Grâce à une enquête ethnographique minutieuse en préfecture, Abdellali Hajjat met en lumière l’invention de ces critères et les usages administratifs qui en sont faits. Il réalise ainsi une socio-histoire des usages juridiques et administratifs de l’assimilation et trace la généalogie de la frontière nationale, qui peut se confondre avec une frontière raciale.

Jason W. Moore

Jason Moore est historien, professeur à l’université de Binghamton (États-Unis). Spécialiste d’histoire agraire et environnementale, il est notamment l’auteur du Capitalisme dans la toile de la vie (L’Asymétrie, 2020) et, avec Raj Patel, de Comment notre monde est devenu cheap. Une histoire inquiète de l’humanité (Flammarion, 2018).

La Grande Transformation du sommeil

Écrire l’histoire du sommeil, c’est lui restituer son caractère éminemment politique.

Contrairement à l’opinion courante, le sommeil d’un bloc d’environ huit heures n’a rien de naturel. Cette manière de dormir ne s’est répandue que très récemment, dans le sillage de la révolution industrielle, à la faveur de la généralisation de l’éclairage artificiel dans les villes et de l’imposition d’une nouvelle discipline du travail. Auparavant, le sommeil était habituellement scindé en deux moments, séparés par une période de veille consacrée à diverses activités comme la méditation, les rapports intimes ou encore le soin des bestiaux.
Telle est la thèse révolutionnaire de Roger Ekirch. Son enquête passionnante sur le bouleversement de nos nuits qu’a constitué la disparition, puis l’oubli du sommeil biphasique a doté cet objet d’une historicité qui lui était jusque-là déniée et conduit à l’émergence d’un nouveau champ de recherche, les Sleep Studies. Surtout, cette découverte invite à questionner l’identification de l’insomnie de milieu de nuit à un « trouble du sommeil ». Et à envisager les conséquences d’une transformation qui nous a barré un accès privilégié aux rêves et, par-là, à la conscience de soi.

L’écologie-monde du capitalisme

Pourquoi il faut renoncer à la notion d’Anthropocène, qui renforce ce qu’elle prétend combattre.

Dans le discours scientifique et politique, la révolution industrielle s’est imposée comme le principal marqueur de l’entrée dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène. Avec l’invention de la machine à vapeur et l’essor des énergies carbonées, l’Humanité serait devenue une force transformatrice de la Nature. Or que signifie au juste « Humanité » ? Et ce récit est-il aussi neutre qu’il le prétend ? Ces interrogations sont au cœur de la réflexion de l’historien Jason Moore. Bien que la réalité de la pollution, du changement climatique, de l’épuisement des ressources soit incontestable, la manière de raconter et les personnages que l’on choisit déterminent la compréhension des faits, donc les solutions que l’on proposera.
Le récit de l’Anthropocène définit déjà une orientation politique. Il présuppose une séparation problématique entre Homme et Nature, socle idéologique de la destruction généralisée que l’on nomme aujourd’hui « crise écologique », qui a justifié la conquête planétaire menée par les pays occidentaux et l’émergence du capitalisme. Dans ce cadre de pensée, tout ce qui relève de la Nature est dévalorisé, donc exploitable à l’envi. Ainsi, la notion d’Anthropocène s’appuie sur cela même qu’il faudrait mettre en cause. Parler de Capitalocène, à l’inverse, c’est souligner l’intégration de l’ensemble de l’humanité dans le « tissu de la vie », proposer une périodisation historique plus longue, identifier les causes profondes de la crise planétaire et se donner les moyens d’en sortir.

Roberto Nigro

Roberto Nigro est professeur de philosophie et est le doyen de la faculté d’études culturelles de l’université Leuphana de Lüneburg. Ancien directeur de programme au Collège international de philosophie, il a enseigné en Italie, en France, aux États-Unis et en Suisse. Ses intérêts théoriques portent sur l’histoire de l’opéraïsme et sur l’œuvre de Michel Foucault. Il travaille actuellement à une histoire intellectuelle de la « décennie rouge » en Italie et en Allemagne.

Deleuze et Guattari

« Au premier chapitre de L’Anti-Œdipe, et donc au seuil de leur œuvre, Deleuze et Guattari affirment  que le problème fondamental de la philosophie politique est le désir de servitude. »

L’œuvre de Deleuze et Guattari est une philosophie des devenirs-révolutionnaires, qui est à la fois ancrée dans son époque et en rupture avec elle. Dans L’Anti-Œdipe et Mille plateaux, Deleuze et Guattari veulent en effet : théoriser le potentiel révolutionnaire qui s’est manifesté en Mai 68 et qui a rouvert les possibles dans l’histoire, par une combinaison originale de révolution sociale et de révolution désirante (théorie des minorités) ; analyser les conditions qui ont permis le retournement de ce moment révolutionnaire en une vaste contre-révolution mondiale, avec les nouvelles formes de répression des minorités (théorie du néo-fascisme) ; et déterminer les moyens d’élargir la brèche ouverte dans l’histoire par le mouvement de Mai 68 et contribuer à dresser l’organisation révolutionnaire qui lui a fait défaut (théorie de la machine de guerre minoritaire et révolutionnaire). S’exprime là tout un effort pour revitaliser les forces sociales et en libérer le potentiel révolutionnaire. Cet horizon n’est-il pas encore le nôtre ?

Igor Krtolica

Igor Krtolica est maître de conférences en philosophie à l’Université Picardie-Jules Verne et directeur de programme au Collège international de philosophie. Son travail porte principalement sur la philosophie française contemporaine, ses sources dans l’histoire de la philosophie classique et moderne, et ses liens avec les arts et les sciences. Il travaille actuellement sur le rapport entre philosophie de la nature et philosophie politique. Il a publié en 2015 le « Que sais-je ? » sur Deleuze.