Genre et féminismes au Moyen-Orient et au Maghreb

D’après le stéréotype, les femmes vivant au Maghreb et au Moyen-Orient sont opprimées par une religion patriarcale et des traditions ancestrales. Ce petit livre donne à voir une réalité, ou, plutôt, des réalités différentes.

Loin d’être un tabou, les droits et modes de vie des femmes constituent dans cette région une question centrale depuis le xixe siècle, où, dans des situations de domination coloniale ou impériale, de multiples formes de prédation économique, d’exploitation et de guerre ont bouleversé les rapports de genre. L’ouvrage analyse les résistances opposées par ces femmes, qu’elles soient rurales ou urbaines, des classes populaires ou lettrées. Il met en lumière leurs usages diversifiés de l’islam, mais aussi leurs mobilisations pour l’emploi, contre les colonialismes, les guerres et les occupations – ou, plus récemment, à la faveur des révolutions, les luttes contre le racisme et l’oppression des minorités sexuelles et de genre. Encastrés dans des histoires politiques, sociales et économiques singulières, les transformations et mouvements liés aux rapports de genre représentent un enjeu essentiel pour le Maghreb et le Moyen-Orient du xxie siècle.

Rimbaud, la Commune de Paris et l’invention de l’histoire spatiale

On ne saurait comprendre un poète comme Rimbaud seulement en lisant son œuvre. Il faut élargir la focale, essayer de saisir les personnes et les choses qui l’entouraient, et l’envisager, lui, comme une personnalité à moitié fondue dans la masse. Comme quelqu’un qui arpenta plusieurs mondes à la fois, quelqu’un qui, dans une conjoncture instable, où les travailleurs parisiens avaient pris en main leur destin politique, fit le choix, pendant quelques années, d’écrire de la poésie. La vie de Rimbaud ne fut pas une vie d’artiste.

Kristin Ross nous invite donc à le lire au côté ou à proximité des gens du peuple et de leurs pratiques, des discours et positions qui contribuèrent au mouvement social et politique que fut la Commune. Refusant de traiter cette œuvre en miracle de la créativité poétique, rejetant la perspective « correcte » prescrite par la critique littéraire ou l’histoire sociale, elle inscrit l’imaginaire rimbaldien dans les rêves et les bouleversements de cette époque. Ainsi, elle renouvelle en profondeur notre vision de Rimbaud et de la Commune.

Stathis Kouvélakis

Stathis Kouvélakis enseigne la philosophie politique au King’s College de Londres. Il milite dans la gauche radicale en Grèce et en France depuis ses années de lycée. Parmi ses publications : Philosophie et révolution. De Kant à Marx (2e édition, La Fabrique, 2017), La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale (La Dispute, 2015), La France en révolte. Luttes
sociales et cycles politiques
(Textuel, 2007).

La domination et les arts de la résistance

À trop s’intéresser au discours public des dominants et des dominés, au détriment de leur discours « caché », par définition difficilement saisissable, on risque de ne pas même apercevoir la résistance effectivement opposée par les subalternes. Il y a là un véritable défi épistémologique pour les analystes du monde social et des situations de domination. Derrière le masque de la subordination et l’écran du consensus et de l’apparente harmonie sociale couve ce que James C. Scott nomme l’« infra-politique des subalternes » : la politique souterraine des dominés. 

Dans toutes les situations de domination, même les plus extrêmes, ces derniers continuent, de façon dissimulée, à contester le discours et les pouvoirs dominants, à imaginer un ordre social différent. Fondé sur l’analyse de sociétés dans lesquelles il n’existe pas d’espace public où contester légitimement l’ordre existant, ce livre désormais classique offre des outils théoriques précieux pour celles et ceux qui cherchent à éclairer les formes subjectives de la vie sociale et les expériences de domination, d’exploitation et de répression.

Sagesse ou ignorance ?

L’objectif ici poursuivi est de reproblématiser la pensée de Spinoza en la prenant, non de front et dans son envergure manifeste, mais en quelque sorte par la bande, grâce au biais que fournit un point crucial, l’alternative entre sagesse et ignorance, où se croisent sans se confondre un certain nombre d’enjeux fondamentaux qui concernent l’ontologie, l’éthique et la politique.

Cela conduit à s’intéresser à des notions comme celles de « don » et d’« ingenium », que Spinoza emploie sans les thématiser mais qui jouent un rôle non négligeable dans le déroulement de sa réflexion. Réfléchir sur l’usage de ces notions permet de projeter sur la doctrine de Spinoza une lumière transversale, qui en fait ressortir certains aspects à première vue inattendus. Sont ainsi mis en relief des enjeux de pensée et des problèmes qu’un abord plus structuré et plus englobant, unifiant et synthétique de la philosophie élaborée par Spinoza tendrait à minorer ou à rejeter, alors que, s’ils n’y détiennent effectivement qu’une position latérale, ils y font saillie, ils surprennent, ils interpellent : par là ils stimulent la réflexion, ce qui justifie qu’on s’emploie à fixer sur eux l’attention.

Race, ethnicité, nation

L’identité s’est imposée comme une question politique centrale de notre époque, mais les débats qui s’y rapportent demeurent le plus souvent posés dans des termes caricaturaux. Pour les clarifier, Stuart Hall étudie ici la construction discursive de trois de ses formes principales : la race, l’ethnicité et la nation. Car si chacune de ces formes est le produit de longs processus de sédimentation historique, leur caractère construit ne doit pas nous conduire à croire qu’il serait possible de se débarrasser de ces catégories comme on dissipe une illusion. Au contraire, il est impératif d’appréhender les ressorts de leur persistance, et notamment leur inscription dans le fonctionnement du langage, afin de comprendre comment elles configurent notre quotidien et le cours de l’histoire, ainsi que d’envisager les modalités de leurs usages susceptibles de nourrir une pratique émancipatrice.

Dans un contexte où la mondialisation et les migrations tendent à scinder l’identité de son lieu concret d’origine, et alors que le racisme prolifère sur fond de déni de sa genèse coloniale, Stuart Hall expose de manière vive et concise les enjeux contemporains d’une approche politique de la différence, tout en proposant une introduction éclairante au champ des cultural studies.

La Critique défaite

Qu’en est-il, aujourd’hui, de la Théorie critique ? Cet ouvrage propose une plongée dans les séquences cruciales de sa formation, en retraçant la trajectoire intellectuelle de trois de ses représentants majeurs : Max Horkheimer, Jürgen Habermas et Axel Honneth.

Née en tant que réponse à une défaite de portée historique, celle de la gauche face au nazisme, la Théorie critique s’est disloquée de l’intérieur. Horkheimer, confronté à l’isolement de l’exil et au délitement des fronts antifascistes, rompt avec le matérialisme historique et se réoriente vers une philosophie négative de l’histoire. Si le passage aux générations suivantes de l’« École de Francfort » permet un renouvellement, il correspond aussi à une adaptation de la critique à l’ordre existant. Chez Habermas, la critique vise à élargir un espace public régi par les règles de la raison, en faisant fi des contradictions des rapports sociaux ; avec Honneth, la critique devient une thérapeutique du social ayant pour objectif de réparer un monde que l’on a renoncé à transformer. Ainsi, d’une génération à l’autre, la Théorie critique a tourné le dos à l’analyse du potentiel régressif inhérent à la modernité capitaliste. C’est avec ce projet initial que le présent nous oblige à renouer.

Filmer la légende

Aux États-Unis, le roman national s’écrit sur grand écran. De la conquête de l’Ouest à la crise des subprimes, de la Prohibition aux suites du 11 Septembre en passant par l’arrivée des migrants européens à Ellis Island ou la création de la CIA, le cinéma américain s’est révélé une formidable machine à fabriquer du mythe, brouillant constamment la frontière entre fiction cinématographique et réalité historique. C’est ce qui fait d’Autant en emporte le vent et de Bonnie & Clyde, de Scarface et de Rambo ou du Soldat Ryan autant d’accès privilégiés aux fantasmes qui n’ont cessé de travailler la société étasunienne et continuent encore de la façonner.

À égale distance des récits triomphalistes et des clichés conspirationnistes, Filmer la légende brosse un tableau tout en nuances de l’histoire des États-Unis telle que le cinéma de ce pays n’a cessé de la raconter depuis plus d’un siècle, nourri par l’analyse de plus d’une centaine de films. Par là même, Florence Arié et Alain Korkos renouvellent en profondeur notre vision du cinéma hollywoodien.

Le Style populiste

La notion de « populisme » occupe une place prépondérante dans le débat public contemporain ; or rien ne semble plus compliqué que de déterminer ce qu’elle recouvre. Les développements historiques récents, de part et d’autre de l’Atlantique, ont donné lieu à une multiplication des discours visant à doter d’attributs fondamentaux et de causes linéaires un phénomène politique profondément hétérogène, démarche qui, bien souvent, réduit ce dernier à une série de figures politiques (« les » populistes). Mais cela revient à occulter les éléments discursifs que ces dernières partagent en réalité avec nombre d’acteurs qui affirment s’y opposer, ainsi que les ressorts profonds de ce caractère transversal.

Pour sortir d’une telle impasse, le présent ouvrage met l’accent sur le concept de style : sur la ressemblance, le flux et le devenir, plutôt que sur l’essence, la stabilité et l’attribut. Ainsi envisagé, le populisme apparaît avant tout comme une méthode, née d’une instabilité profonde de la reproduction des élites et des systèmes politiques, qui permet de prendre le pouvoir et de l’exercer dans une conjoncture où le moment de sa conquête et celui de sa perte semblent toujours plus rapprochés.

Les Limites du capital

Fruit d’une décennie de recherches, Les Limites du capital propose une théorie générale du capitalisme dans le prolongement des travaux économiques de Marx. Le géographe David Harvey nous guide à travers la production, la distribution, la consommation, explique la marchandise, la monnaie, la valeur, souligne le rôle du crédit et de la finance, les conflits entre le capital et le travail, entre le capital et l’État, entre les capitalistes eux-mêmes.

Au fil de cette analyse minutieuse du fonctionnement du système capitaliste se dégage une compréhension inédite des crises qui le traversent sans cesse. Non seulement celles-ci sont inévitables, mais elles ne peuvent être surmontées qu’en trouvant des « solutions spatiales », en réorientant les flux de capital et de force de travail vers de nouveaux secteurs et de nouveaux lieux. Au passage, elles détruisent des vies et des territoires, parfois dans des guerres sanglantes. Harvey dissipe le brouillard de mystifications qui enveloppe l’économie pour livrer un enseignement implacable : les espaces où nous évoluons sont façonnés par la logique capitaliste de la valeur. Ce travail internationalement reconnu constitue un outil indispensable pour saisir la complexité vertigineuse de notre monde.

Collectif Rosa Bonheur

Le Collectif Rosa Bonheur s’est consacré depuis 2011 à l’analyse sociologique de l’organisation de la vie quotidienne dans les espaces désindustrialisés, à partir d’une grille de lecture matérialiste. Il est composé de Anne Bory, José-Angel Calderón, Yoan Miot, Blandine Mortain, Juliette Verdière et Cécile Vignal.

La Ville vue d’en bas

La désindustrialisation à l’œuvre depuis les années 1970 a confiné des pans entiers des classes populaires aux marges du salariat. Tenues à l’écart des principaux circuits marchands, ces populations ont dû réorganiser leur travail et leur vie quotidienne de manière à satisfaire les besoins essentiels à leur subsistance, selon une dynamique qui confère une centralité nouvelle à l’espace urbain : pour elles, l’accès à la plupart des ressources matérielles et symboliques nécessaires au maintien d’une existence digne est intimement lié à leur ancrage territorial.

Or, les pratiques attachées à cette centralité populaire sont aujourd’hui contestées. Prises dans la course à la métropolisation, certaines villes voudraient en définitive remplacer ces populations, dont elles considèrent qu’elles « ne font rien », par d’autres issues des classes moyennes et supérieures, n’hésitant pas à agiter le spectre du communautarisme et celui du ghetto. Il s’agit, au contraire, de saisir ce qu’impliquent les processus contemporains de fragmentation de l’espace social pour des personnes qui ne sont ni plus ni moins que des travailleuses et des travailleurs.