McKenzie Wark

McKenzie Wark est sociologue, professeure à la New York School, spécialiste de la communication et des nouveaux médias. Elle est l’autrice de nombreux ouvrages sur les environnements numériques et la géographie virtuelle, dont le remarqué Manifeste hacker, traduit en français en 2006.

Ces corps qui comptent

La prise en compte de la matérialité des corps n’implique pas la saisie d’une réalité pure, naturelle, derrière le genre : si le sexe est un présupposé nécessaire du genre, nous n’aurons jamais accès au réel du sexe qu’à travers nos schèmes culturels. Le sexe, comme le genre, est une norme culturelle, qui régit la matérialité des corps. Il importe donc de souligner que le concept de matière a une histoire, où sont sédimentés les discours sur la différence sexuelle. En outre, si certains corps (par exemple blancs, mâles et hétérosexuels) sont valorisés par la norme, d’autres (par exemple lesbiens ou non blancs) sont produits comme abjects, rejetés dans un dehors invivable.
À travers une reprise critique du concept foucaldien de « contrainte productive », Judith Butler s’efforce, loin de tout volontarisme, de ressaisir la façon dont ces corps peuvent défaire les normes qui les constituent et devenir le lieu d’une puissance d’agir transformatrice. Ce livre, où l’épistémologie se mêle à la politique, constitue un jalon des études de genre et l’un des ouvrages majeurs de son auteure.

Fabien Locher

Fabien Locher est historien au CNRS. Il travaille sur l’histoire environnementale des mondes contemporains, et notamment sur les interactions entre environnement et propriété, sur les communs, sur l’histoire longue du changement climatique, sur l’histoire environnementale des mers et des océans.

Posséder la nature

Les dernières décennies ont vu l’essor des préoccupations environnementales, en même temps que l’émergence d’un mouvement en faveur des communs. Malgré cela, les débats sur les enjeux écologiques contemporains ont eu tendance à délaisser la question centrale de la propriété. Une fausse alternative s’est dessinée entre une certaine orthodoxie économique, qui voit dans la propriété privée un cadre optimal d’exploitation et de conservation des écosystèmes, et des visions parfois trop romantiques des pratiques communautaires.
C’est oublier que les formes de la propriété sont consubstantielles aux dynamiques d’appropriation de la nature : des vagues successives de marchandisation à l’instrumentalisation par les États des politiques de protection environnementale, elles sont un lieu crucial où se nouent nature et capital, pouvoir et communauté, violence et formes de vie. À l’heure où le développement des technosciences et les bouleversements géopolitiques internationaux reconfigurent les liens entre environnement et propriété, ce recueil propose un éclairage inédit sur une histoire longue et conflictuelle.

Égalité radicale

Le mouvement ouvrier et étudiant de 68 a fissuré l’assise savante du pouvoir. Jacques Rancière, qui en prend acte, instaure un renversement fondamental : il ne saisit plus l’égalité comme but, mais comme point de départ. C’est d’une déconnexion avec l’ordre hiérarchique qu’elle procède. Sont ainsi mises en avant les capacités des opprimés à inventer des pratiques indociles.
Pourtant, depuis une vingtaine d’années, Rancière tend à rétrécir la portée de ce geste : en le déplaçant vers le champ esthétique, il le limite à des « redistributions polémiques du dicible et du visible ». Ce livre rompt avec une telle orientation. Il élucide l’égalité dans des luttes impliquant la violence, réintroduit une rationalité du désir et de l’antagonisme. L’aspiration à abolir le rapport capitaliste fait pleinement partie de l’obstination lucide qui anime la confiance égalitaire. Ainsi radicalisée, l’égalité noue l’antagonisme, qui combat un ennemi à détruire, au litige, qui s’inclut dans le monde de l’adversaire par polémique. Elle rencontre les questions que le féminisme pose à l’universel, et s’empare de la défaite comme d’un moment immanent à sa pratique, tirant ses ressources de possibles déjà accomplis, mais aussi des chances manquées d’une lutte.

Antonia Birnbaum

Antonia Birnbaum est philosophe, professeure à l’Université Paris 8-Saint-Denis. Spécialiste de la pensée allemande, en particulier de l’École de Francfort, elle traduit le cours d’esthétique d’Adorno, à paraître aux Éditions Klincksieck, et vient de préfacer la nouvelle édition de Critique de la violence de Walter Benjamin (Payot, 2018).

Queer Zones

Queer Zones. La trilogie regroupe les trois volumes du même nom publiés entre 2000 et 2011, dont le désormais classique Queer Zones. Politique des identités et des savoirs, qui a impulsé la théorie et la politique queer en France. On y voit surgir au fil des pages la post-pornographie ainsi que des explorations politiques, théoriques et personnelles qui renouvellent le féminisme, les études de genre et la théorie du genre. S’y croisent Wittig et Foucault, Butler et Despentes, Deleuze-Guattari et Monika Treut, à l’ombre des subcultures et des subjectivités minoritaires, vivantes et dissidentes, proliférantes et militantes.

Mêlant, dans un style flamboyant, recherche et critique, chronique et polémique, Sam Bourcier construit un féminisme pro-sexe et biopolitique qui est une réflexion plus large sur les relations entre pouvoir et savoirs, corps et disciplines. Ars erotica, ars theorica, ars politica : la trilogie est l’indispensable boîte à outils de celles et ceux qui veulent sortir des cadres hétéro- et homo-normatifs, du musée de la différence sexuelle et de la binarité – en un mot, vivre et penser comme des queers.

Iconologie

« Ce livre fait face à deux questions récurrentes […] : qu’est-ce qu’une image? quelle est la différence entre mots et images ? Il s’attache à comprendre les réponses traditionnellement données à ces questions en les rapportant aux intérêts humains qui, dans des situations spécifiques, leur confèrent une forme d’urgence. Pour quelle raison définir ce qu’est une image ? Quel intérêt y a-t-il à accentuer ou à gommer les différences entre mots et images ? Quels sont les systèmes de pouvoir et les échelles de valeur – autrement dit, quelles sont les idéologies – qui nourrissent les réponses à ces questions et en font des sujets de polémique plutôt que d’enjeux purement théoriques ? »

Géographie de la domination

Partout et constamment, la logique de l’accumulation capitaliste bouleverse les équilibres économiques et politiques, la technique et le travail, l’environnement et le climat, les sociétés et les formes de vie. Le capitalisme est, à quelque échelle qu’on le considère, un système de production de l’espace, c’est-à-dire un pouvoir de façonner les lieux, de modifier en profondeur les paysages, de transformer les rapports spatio-temporels. L’uniformisation du monde par le marché implique en effet une incessante prolifération des différences – économiques, sociales, géographiques, culturelles, géopolitiques. Ce dynamisme même fait du capitalisme un ensemble instable, en proie à des crises chroniques, perpétuellement contraint d’inventer des « solutions spatiales » aux contradictions qui le minent et aux catastrophes diverses qu’elles engendrent.
Production et destruction, homogénéisation et différenciation : pour comprendre un capitalisme désormais planétaire, donc se donner les moyens d’en sortir, de briser les rapports inégalitaires qui le fondent, il est essentiel de saisir les logiques spatiales de ce mode de production. C’est à cela que nous invite l’œuvre du géographe David Harvey, à laquelle ce livre se veut une introduction synthétique.

Micropolitiques des groupes

Qu’est-ce qui permet à un groupe militant de fonctionner? Comment se prémunir des pièges susceptibles d’entraver son devenir, des impasses dans lesquelles risquent de s’engager les subjectivités qui s’y nouent? Envisageant les groupes comme des écosystèmes aussi riches que fragiles, David Vercauteren traque les impensés qui hantent les collectifs lorsqu’ils se concentrent exclusivement sur leurs domaines d’intervention ou leurs objectifs macropolitiques.
À travers l’analyse d’une série de « situations-problèmes », il élabore un ensemble d’outils théoriques visant à nourrir l’émergence de nouvelles formes d’organisations politiques, à distance des habitudes psychologisantes, replis identitaires et autres passions tristes liées à l’héritage de la forme parti et du mouvement ouvrier. Ce faisant, il invite les groupes contemporains à développer un savoir nomade des processus et des conjonctures à même de nourrir une « culture des précédents » qui les renforce, tout en maintenant intact le désir d’expérimentation qu’ils manifestent.

Godard

Cet ouvrage étudie une période importante, mais longtemps négligée ou calomniée, de l’œuvre de Jean-Luc Godard : les années autour de 1968, durant lesquelles le cinéaste se politise, se réclamant du communisme puis du maoïsme.
Comment mettre son cinéma au service de la révolution ? Porter la révolution dans le cinéma lui-même ? Se situer, s’inscrire dans l’histoire du cinéma pour élargir ses possibilités et usages militants ? La Chinoise, Week-end, Tout va bien… Près de vingt films qui sont autant de laboratoires d’un cinéma politique révolutionnaire. L’association avec Jean-Pierre Gorin dans le « groupe » Dziga Vertov modifiera durablement sa conception du cinéma en déplaçant le cœur des recherches, de l’image vers le montage qui l’intègre.
David Faroult aborde chacun des films de cette période, les historicisant pour mieux cerner leurs inventions. Plutôt qu’à la biographie, c’est aux œuvres et aux propos qu’il s’intéresse. Ainsi, il apporte un nouvel éclairage sur le cheminement de Godard et sur l’histoire des années 68, en vue de nourrir des regards et des pratiques à venir.
L’étude est complétée d’un consistant recueil de documents inédits et de traductions.

David Faroult

David Faroult, maître de conférences en cinéma à l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière est co-auteur de Jean-Luc Godard : Documents (Centre Pompidou, 2006) et de Mai 68 ou le cinéma en suspens (Syllepses, 1998). Il a présenté en bonus l’ensemble des films du « groupe Dziga Vertov » dans leur première édition en DVD (Intermedio, 2008).

Brigades rouges

Mario Moretti est arrêté en 1981, trois ans après avoir exécuté Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne au pouvoir et promoteur du « compromis historique » avec le Parti communiste. Dans cet entretien au long cours donné depuis sa prison de Milan, celui qui fut l’un des principaux dirigeants des Brigades rouges pendant les années 1970 pose un regard acéré sur la décennie qui vit l’émergence d’un mouvement massif d’insubordination dans la société italienne. Poussé dans ses retranchements par ses interlocutrices, il éclaire la série des événements et des ruptures politiques qui forment les « années de plomb », de la formation politique des premiers brigadistes au choix de la lutte armée et à sa mise en œuvre.

Ce faisant, Moretti ne livre pas seulement un portrait précis et nuancé de l’une des formations révolutionnaires les plus décriées du siècle dernier : il en restitue la trajectoire parmi les tumultes qui agitaient alors la péninsule, du contexte de la Guerre froide à la « stratégie de la tension » menée par le gouvernement italien. Et interroge le prix d’une radicalité qui se voulait intransigeante.

Christophe Hanna

Christophe Hanna a publié l’autobiographie Valérie par Valérie aux éditions Al Dante (2008), puis les explorations Argent (2018) et « Sorties brèves » (in A. Burlaud, A. Popelard, G. Rzepski [dir.], Le Nouveau Monde. Tableau de la France néolibérale, 2021) aux éditions Amsterdam. Il a mené une série de performances collectives regroupées sous le titre Agence de notation (2020) dans et avec diverses institutions culturelles, dont le Centre Pompidou et l’université Paris 8. Il a aussi écrit l’essai théorique Sociographies (Questions théoriques, 2024).