Argent

Durant quatre années, Christophe Hanna a enregistré et retraduit les propos relatifs à l’argent des personnes avec qui il entrait en contact pour les besoins de l’écriture de son livre. Auteurs, éditeurs, poètes, journalistes, directeurs d’institutions artistiques, familles, élèves et parents d’élèves sont ici réunis et classés par segments salariaux, dont la forme diagrammatique reproduit à l’identique la répartition des salaires en France. De Christophe254 à Pierre16000 en passant par Hocine1500 ou Nathalie2400, ce « rapport », où se devine l’influence de Francis Ponge, dessine un portrait statistique, trivial et intime à la fois, d’une partie du champ littéraire poétique, de ses protagonistes et de ses institutions.

Outre qu’il fait découvrir un microcosme très mal documenté, Argent éclaire, dans les récits qui le composent, l’ensemble des déterminations économiques et sociales de l’activité poétique. Loin de pouvoir s’excepter de la règle commune, celle-ci est marquée par de fortes inégalités et par l’existence d’un marché où transitent, s’échangent et se monnayent un entrelacs de titres et de valeurs.

La pensée straight

En 1978, Monique Wittig clôt sa conférence sur « La Pensée straight » par ces mots : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes. » L’onde de choc provoquée par cet énoncé n’en finit pas de se faire ressentir, aujourd’hui encore, dans la théorie féministe et au-delà. En analysant l’aspect fondateur de la « naturalité » supposée de l’hétérosexualité au sein de nos structures de pensées, que ce soit par exemple dans l’anthropologie structurale ou la psychanalyse, Monique Wittig met au jour le fait que l’hétérosexualité n’est ni naturelle, ni un donné : l’hétérosexualité est un régime politique. Il importe donc, pour instaurer la lutte des « classes », de dépasser les catégories « hommes »/« femmes », catégories normatives et aliénantes. Dans ces conditions, le fait d’être lesbienne, c’est-à-dire hors-la-loi de la structure hétérosexuelle, aussi bien sociale que conceptuelle, est comme une brèche, une fissure permettant enfin de penser ce qui est « toujours déjà là ».

Défaire le dèmos

Au cours des dernières décennies, l’efficacité a été érigée au rang de valeur primordiale au sein des sociétés occidentales : de l’évaluation des pratiques gouvernementales et des institutions au rapport à soi des individus, l’impératif de valorisation est devenu la norme, tout et tout le monde étant désormais traité comme capital. Analysant les transformations de l’université, celles de l’ordre juridique ou l’emprise acquise par le jargon des « meilleures pratiques », Wendy Brown montre comment la rationalité politique néolibérale – nouvel ordre du discours qui excède largement le domaine de l’économie – introduit partout la logique du marché. Reprenant le fil de l’étude du néolibéralisme là où Foucault l’avait abandonnée, elle explique que la logique sacrificielle qui sous-tend les modèles de la « gouvernance » et de l’homo œconomicus menace la possibilité même de constitution de sujets politiques et, par conséquent, les fondements de la démocratie.

La Plaine

Dans la plaine de la Beauce, région spécialisée dans la céréaliculture intensive, la modernité technicienne n’admet guère de critiques. Nuisances industrielles, surcharge de travail, endettement, maladies professionnelles : rien n’y fait. Dépossédés de leur métier, les agriculteurs continuent néanmoins, consentants ou résignés, à faire le pari du progrès. Alternant portraits de chefs d’exploitation et chapitres analytiques, ce documentaire éclaire d’un jour nouveau l’engrenage productiviste. Des exploitations agricoles aux réunions syndicales, des agences bancaires aux coopératives de semences, des formations techniques aux salons agricoles, La Plaine est une enquête sociale sur le consentement des travailleurs du productivisme et sur les forces sociales de l’inertie politique.

Spinoza et les passions du social

Si la philosophie de Spinoza nous parle, c’est par son aptitude à s’emparer, sans aucun égard pour la distance dans le temps, des objets et des problèmes de notre monde, sa puissance de défaire nos manières ordinaires de les penser, et de nous les faire voir autrement. Les contributions réunies dans cet ouvrage ont pour but d’éprouver à nouveau cette puissance et d’en montrer l’actualité. Elles se proposent de le faire à partir du double point de vue qui considère, d’une part, que le social est le milieu de la vie des hommes et, d’autre part, que, de ce milieu, les passions sont l’élément. Les individus n’ont d’existence que sociale, et cette nature sociale consiste en une certaine organisation du jeu des affects. Les passions du social s’en trouvent alors repérables à tous les niveaux : celui de la constitution de l’individualité, de l’opération des institutions, ou des processus de l’histoire.

Ce recueil est donc par destination une contribution au dialogue de la philosophie (spinoziste) et des sciences sociales. Les secondes offrent les questions qu’elles ont construites à la première, qui leur rend sa manière singulière de les envisager voire de les reformuler. Et cette mise au travail de la pensée spinoziste poursuit par là même l’exploration de ce qu’elle peut.

Avec les contributions de : Judith Butler, Kim Sang Ong-Van-Cung , Frédéric Lordon, Eva Debray, Christophe Miqueu, Nicola Marcucci, Nicolas Israël, Pierre-François Moreau et Pascal Séverac

Histoire des des révoltes panafricaines

Ce petit livre de C. L. R. James, dont la première édition est parue en 1938, la même année que Les Jacobins noirs, propose une histoire mondiale de la résistance des Noirs, de Saint-Domingue aux colonies africaines, en passant par les États-Unis et d’autres îles des Antilles.

Révoltes d’esclaves, émeutes, grèves, mouvements millénaristes ou antiracistes : rompant avec le cliché de populations subissant passivement leur exploitation, James souligne la diversité des rébellions, leur constance et leur place centrale dans le monde moderne. Ici comme ailleurs, ce sont les masses qui font l’histoire, dans les conditions et avec les croyances qui sont les leurs ; les leaders, Toussaint comme Nkrumah, Garvey comme Nyerere, sont toujours portés et produits par des processus collectifs.

Dans l’épilogue, écrit en 1969, James traite des luttes des Noirs aux États-Unis, des conflits ouvriers dans les Caraïbes et surtout de l’Afrique post-coloniale, prolongeant et précisant les analyses avancées trente ans plus tôt. Par son sujet comme par son traitement, ce livre n’a pas pris une ride – il pourrait même être en avance sur notre temps.

La Catastrophe invisible

L’ambition de ce livre est de donner de la profondeur historique à la catastrophe sanitaire et sociale que fut l’héroïne, à sa répression, aux dynamiques et cycles de sa consommation et de son trafic. Il raconte cette histoire dans ses multiples dimensions, sociale et économique, culturelle et urbaine, politique et géopolitique, en privilégiant le point de vue de ceux qui ont été ses acteurs ou témoins. Plus généralement, il prend l’héroïne comme analyseur, pour saisir ce que les drogues font à la société.
Le marché de l’héroïne se structure au cours des années 1950, mais c’est avec Mai 68 que s’amorce un premier tournant : dans ce bouillonnement politique, sociétal et culturel, les produits se diffusent au sein d’une jeunesse en quête de liberté et d’expériences. La fin des Trente Glorieuses marque un durcissement. La consommation d’héroïne s’étend et les sources d’approvisionnement se multiplient, bien au-delà du mythe de la « French Connection ». Les années 1980 sont un tournant majeur : on voit apparaître des « scènes » où les drogues sont vendues et consommées ouvertement dans les squats, quartiers délabrés, « banlieues » et autres « cités maudites ». Les ravages de l’héroïne deviennent de plus en plus visibles et sa diffusion joue un rôle central dans la construction du problème des banlieues dans sa version sécuritaire et racialisée. Les quartiers dits défavorisés vont être au cœur de sa diffusion mortifère, frappées par l’épidémie de sida, d’une part, et par les politiques répressives, d’autre part. Une bascule s’opère dans les années 1990 lorsque Simone Veil, ministre de la Santé, s’engage dans la mise en place d’un dispositif expérimental de réduction des risques.
L’histoire de l’héroïne est celle de la répression, de la guerre à la drogue et, en corollaire, de l’absence de culture de santé publique en France, mais c’est aussi celle d’un processus de transformation des appartenances collectives et des identités culturelles qui interroge le rôle des produits psychotropes dans le changement social.

Avec les contributions de Vincent Benso, Anne Coppel, Jean-Michel Costes, Claire Duport, Emmanuelle Hoareau, Michel Kokoreff, Aude Lalande, Alexandre Marchant, Fabrice Olivet, Michel Peraldi, Liza Terrazzoni.

Gérard Bras

Gérard Bras, directeur de programme au Collège International de Philosophie (2001-2007) et président de ­l’Université populaire des Hauts-de-Seine, est désormais professeur honoraire de philosophie en première supérieure. Il est l’auteur de Hegel et l’art (P.U.F.), Pascal, figures de l’imagination (en collaboration avec J.-P. Cléro, P.U.F.) et de Les ambiguïtés du peuple (Pleins feux).

Les Voies du peuple

Dèmos, plèbe, populace ou multitude – le mot « peuple » est polysémique. Terme essentiel de la politique moderne, il constitue pourtant aussi un point aveugle de la philosophie politique. D’un côté, on le soupçonne d’être le vecteur d’une démagogie nationaliste, voire raciste ; d’un autre, on l’a vu réapparaître avec le « printemps arabe » et les mouvements d’occupation des places.
Ce livre veut prendre au sérieux le nom du peuple et en faire un objet théorique. Il prend le parti de l’histoire conceptuelle afin de rendre sensibles son usage et ses sens, dans les discours théoriques comme politiques.
À travers trois grandes séquences – la Révolution française, la France gaulliste de la résistance puis de la guerre d’Algérie et, pour finir, les perspectives qu’offre la philosophie contemporaine – et l’étude minutieuse des écrits de philosophes et d’historiens tels que Rousseau, Hegel, Michelet, Laclau ou Rancière, il restitue sa complexité pour éclairer ses usages les plus délétères et renouer avec ses potentialités émancipatrices.

Bon de commande Prairies ordinaires – Fonds 2017-2018

Chers libraires,

Depuis le début de l’année, le catalogue des Prairies ordinaires a retrouvé le chemin de vos rayons de librairie. Nous en sommes évidemment très heureux et vous en remercions. Pour vous aider à reprendre connaissance de la richesse de ce fonds, nous avons préparé un bon de commande récapitulatif, comprenant :

– Les meilleures ventes depuis la reprise, pour quelques valeurs « sûres »,

– La liste exhaustive des titres disponibles (que vous pouvez désormais également consulter dans la rubrique « Catalogue » de notre site pour plus de détails),

– Les titres indisponibles dont une réimpression est d’ores et déjà programmée.

Et bien sûr, les Prairies ordinaires n’en restent pas là : les parutions reprendront dès le ­printemps prochain, avec un nouveau projet éditorial, principalement axé sur les arts et la culture.

L’équipe des Éditions Amsterdam-Prairies ordinaires

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Quand lire c’est faire

L’argument défendu par Stanley Fish dans cet ouvrage est aussi simple qu’inacceptable : ce sont les lecteurs qui font les livres. Contre-intuitive à souhait, la thèse est faite pour choquer le bon sens commun (auquel Fish paraît se délecter de donner du bâton).
Depuis la parution en 1980 de ce classique intitulé Is there a Text in this Class? The Authority of Interpretive Communities (dont le coeur constitue le présent ouvrage), qui présente et discute cette thèse, l’argumentaire développé par Stanley Fish est devenu « Ce Qu’il Faut Démonter » pour quiconque entend faire prendre les études littéraires au sérieux. Vingt-cinq ans après leur parution dans leur langue originale, les essais consacrés à la dimension projective de l’interprétation non seulement gardent toute leur pertinence, mais s’avèrent tirer un sens et une urgence renouvelés à la lumière des évolutions récentes des débats publics et des mentalités.
Cette théorie du lecteur-faiseur de texte peut être mise en relation avec d’autres formes contemporaines de « libération », d’encapacitation (empowerment) et de revendication d’« autonomie ». Pas besoin d’attendre du Maître qu’il nous donne la clé de la bonne interprétation du texte (qu’il serait seul à détenir) : chacun peut faire d’une liste de commissions un poème religieux ! Il n’y a plus lieu de souscrire à la division aliénante du travail – d’ailleurs contemporaine de l’émergence du capitalisme industriel – entre un auteur créatif (mais généralement mort) et un lecteur bien vivant mais condamné à suivre servilement les notes d’une partition déjà écrite ! Sous les pavés disciplinaires de l’histoire littéraire, la plage de toutes les libertés interprétatives !

Stanley Fish

Stanley Fish n’est pas seulement le modèle du célèbre Morris Zapp, héros des satires universitaires du romancier David Lodge. Il est l’un des plus grands théoriciens littéraires du second XXe siècle, à l’égal de Barthes et Derrida. Pragmatiste roublard, provocateur policé, il n’a cessé en quarante ans d’écriture de susciter la polémique.

Communauté, immunité, biopolitique

De l’impact des biotechnologies sur le corps à l’omniprésence de la sécurité dans les programmes de gouvernement ; des guerres dites préventives à la centralité de la question sanitaire, innombrables sont aujourd’hui les symptômes qui témoignent d’une obsession létale pour l’immunisation. Selon Roberto Esposito, notre monde globalisé s’apparente de plus en plus à une bulle protégée de l’« extérieur » : il est dominé par le paradigme immunitaire. Or la communauté suppose au contraire une instabilité : tous les êtres humains ont en commun une exposition permanente à autrui. Pour stabiliser ce processus sans fond, sans fin, de la vie, les régimes politiques modernes ont mis en place des systèmes d’immunisation dont l’efficacité tend à se retourner contre les populations. Conjurer cette politique mortifère est la principale ambition de ce livre.

Cloning terror

Les attentats du World Trade Center et la brutale réplique qu’ils ont suscitée de la part du gouvernement américain n’ont pas seulement engendré de lourdes pertes humaines, ils ont aussi produit de nouvelles images qui ont durablement marqué les esprits. Pour W.J.T.Mitchell, ce qu’il s’agit de comprendre, c’est l’entrelacement formé par les événements et les images : laisser un instant de côté la signification des images, leur pouvoir ou les idéologies qu’elles véhiculent, examiner la manière dont les images produites durant la « guerre contre le terrorisme » ont fabriqué des réalités et des affects politiques. En un mot, prendre les images au sérieux. Depuis le 11 Septembre, le terrorisme est devenu indissociable du paradigme du clonage, et la reproductibilité infinie des images a donné naissance à la figure du terroriste clone, anonyme, insaisissable, innombrable, capable de semer la terreur partout et à tout moment. La « clonophobie » contemporaine est à la fois nouvelle et ancienne : nouvelle, parce que la peur du terrorisme s’inscrit pleinement dans notre « âge biocybernétique », défini par l’image numérique et les nouveaux médias ; ancienne, parce que la clonophobie est une forme d’iconophobie, vieille peur d’une copie douée d’une âme et d’une vie propre. Cloning Terror, en explorant les différents avatars de cette « image vivante » ressuscitée, s’acquitte magistralement de son principal objectif : poser les bases d’une iconologie du présent.