Sept images d’amour

L’amour est un rêve communément désiré, une énergie aussi. Dans un temps de troublante fragilité du lien social, quand le monde vit entre l’individualisation et l’inquiétude, l’amour se trouve bouleversé, voire malmené. Hommes et femmes s’interrogent et se construisent sans repères, ayant déserté les utopies et rejoint sans plaisisr un monde fragmentaire en déliaison. Pourtant l’amour se loge parmi tous les interstices du social ; il invente et détient le pouvoir de faire vivre entre soi et ensemble. S’il s’accomplit, il ajoute au monde, s’il s’absente, il organise d’infinies séparations. Pour Sept images d’amour, six personnalités aux écritures et aux approches spécifiques ont choisi une image emblématique de ce qui leur semblait être demande d’amour. Unies par des engagements intellectuels ou artistiques dans la cité, elles entrent dans les multiples formes de bonheurs et d’espoirs tentées en amour, ainsi que dans les chemins du manque ou de la perte. Entre l’amour et la vie du monde, le lien est fort et essentiel. C’est ce que ce livre tente d’exprimer.

Avec les textes de :

Philippe Artières est historien (CNRS-EHESS), ancien rapporteur du Conseil national du sida.
Arlette Farge est historienne, directrice de recherche au CNRS. Elle est spécialiste de l’histoire des sensibilités populaires, à Paris au XVIIIe siècle.
Jean-François Laé est sociologue à l’université Paris VII Saint-Denis. Il travaille sur les archives et les écritures populaires.
Rose-Marie Lagrave est sociologue, directrice d’études à l’EHESS. Elle travaille notamment sur la construction des genres et des sexualités.
Philippe Mangeot a été responsable d’Act-Up Paris. Il est membre du comité de rédaction de la revue Vacarme.
Gérard Mordillat est écrivain et cinéaste. Il est notamment l’auteur de Les Vivants et les Morts, et, avec Jérôme Prieur, des séries documentaires Corpus Christi et L’Origine du christianisme.

Amorces

Le temps des grands récits, progressistes ou révolutionnaires, est paraît-il fini. Tant pis, tant mieux : nous préférions les histoires brèves, contes, nouvelles ou apologues, qui laissent l’intime et le politique s’entrecroiser, en donnant sa part au silence. Amorces réunit des textes qui tentent l’exercice : pour résister au nouveau gouvernement des âmes et des corps, pour repousser le sentiment qu’il n’y a plus rien à inventer, ils tracent des figures libres qui prennent l’actualité de côté, ouvrent en elle la possibilité un peu oblique d’une fiction, arrachent la rêverie à l’espace privé pour lui donner, un instant, une portée collective. Gilles Deleuze nommait « flagrant délit de légender » cet usage de l’imaginaire, clandestin et minoritaire. Il le définissait ainsi : « Extraire du mythe un vécu actuel, qui désigne en même temps l’impossibilité de vivre. » Ceci est un livre d’images.

Des images et des bombes

Écrit par un collectif d’activistes et universitaires après l’entrée en guerre des États-Unis en Irak, ce livre propose un puissant décryptage de la conjoncture politique actuelle envisagée à travers le prisme des catégories de « capital » et de « spectacle ». Une nouvelle phase d’accumulation primitive se combine en effet, depuis le 11 Septembre, à un contrôle des apparences par les appareils d’État. Depuis que le « consensus de Washington » a volé en éclats, le néolibéralisme est passé en mode militaire et les grandes puissances ont pris l’habitude de contenir les passions démocratiques par le biais d’une politique spectaculaire renouvelée. L’ambition de ce livre est de dessiner des repères pour les luttes à venir. Une critique non réactionnaire, non nostalgique, non apocalyptique de la modernité, et un scepticisme radical envers tout avant-gardisme : telles sont les tâches théoriques et politiques présentes face à la désorientation stratégique d’États qui produisent des citoyennetés faibles tout en dépendant plus que jamais d’une opinion surmobilisé.

Retort est un collectif d’opposants au capitalisme et d’universitaires issus des sciences humaines, basé depuis deux décennies dans la baie de San Francisco. Des Images et des Bombes est leur premier livre.

Wal-Mart

Wal-Mart est la plus grande entreprise mondiale, le plus grand employeur privé du monde, le huitième acheteur de produits chinois (devant la Russie et le Royaume-Uni) ; son chiffre d’affaires est supérieur au PIB de la Suisse… Mais derrière tous ces superlatifs se cache l’histoire très singulière d’une société de l’Arkansas qui, en l’espace de quarante ans, a révolutionné les vieux modèles fordistes d’organisation du travail et bouleversé toute l’économie américaine. Alors que la marge de manœuvre des gouvernements demeure restreinte, Wal-Mart semble avoir aujourd’hui plus d’influence que n’importe quelle institution, non seulement sur des pans entiers de la politique sociale et industrielle américaine, mais aussi sur le modèle de vie et de consommation mondialisé, bigot et familialiste.

Walter Benjamin, sentinelle messianique

Écrit peu après la chute du Mur et initialement paru à l’automne 1990, cet ouvrage marque un point d’inflexion majeur dans le parcours tant théorique que politique de Daniel Bensaïd. Jusque-là absente du corpus du philosophe et dirigeant de la LCR, la pensée de Walter Benjamin s’est alors imposée à lui. Elle lui a fourni les points d’appui nécessaires à la réélaboration d’une pensée révolutionnaire et stratégique en période de défaite, au moment où le néolibéralisme hurlait au monde sa propre nécessité et annonçait imprudemment la fin de l’histoire. Il fallait rompre, alors, avec la vulgate positiviste marxiste, qui ne voyait dans l’histoire que la mécanique inexorable du Progrès. Cette conception théologique avait déjà fait bien des dégâts ( très tôt perçus, en plein cauchemar des années 1930, par Benjamin); elle avait été en partie responsable de l’apathie des classes subalternes et de la bureaucratisation « communiste ». Elle était, au début des années 1990, parfaitement homogène au triomphe autoproclamé des « démocraties occidentales ». Il fallait donc, avec Benjamin, revendiquer à nouveau la charge explosive du messianisme juif, s’ouvrir à la théologie et à l’événement, et se tourner vers les vaincus de l’histoire pour les réintégrer aux forces de la révolution à venir. Aujourd’hui, autant sinon plus qu’il y a vingt ans, ce livre de Daniel Bensaïd, en réhabilitant un Walter Benjamin politique (plutôt qu’esthète ou critique comme on le présentait alors), nous encourage à guetter le moment où la bifurcation révolutionnaire devient possible, à devenir, à notre tour, des sentinelles messianiques.

Voir le capital

Explorant les représentations cartographiques de l’économie capitaliste depuis le XVIIIe siècle, la flânerie urbaine chez Benjamin, ou encore la déliquescence des images utopiques de la ville, les essais qui composent ce livre esquissent une histoire culturelle de la modernité tout en posant les fondements d’une anthropologie philosophique de l’image. De l’Art Nouveau au métro moscovite, du schéma managérial capitaliste au plan économique soviétique, l’analyse des imaginaires de la production et de la consommation dévoilent la réciprocité des utopies de l’Est et de l’Ouest. Sauver l’élan utopique qui les animait, ou bien encore briser l’anesthésie sensorielle qui fit le terreau du nazisme sont quelques-unes des tâches que notre époque hérite de la modernité. Dans ce cadre, l’image n’est pas une forme idéale et neutre, mais un vecteur politique, une prise sur l’histoire par laquelle peuvent se réactualiser les expériences passées et s’exprimer un désir qui animait déjà la pensée de Benjamin : celui de voir le capital.

Zombies et frontières à l’ère néolibérale

En cherchant à décrire les causes et les mécanismes de la violence de la transition néolibérale en Afrique du Sud, les Comaroff développent une anthropologie historique de la « culture du capitalisme », de la manière dont le néolibéralisme imprègne l’univers symbolique. Les zombies qui prolifèrent aujourd’hui dans le nord du pays ne sont ni les signes d’un retour aux « traditions » ni les restes d’une supposée « irrationalité ». Ce sont au contraire l’une des réponses régionales aux évidences tacites du néolibéralisme, notamment à ces idées très répandues que l’on peut consommer sans produire, ou s’enrichir sans effort. Ils exemplifient cette promesse d’accumulation presque magique de la richesse qui séduit toujours plus d’habitants de la planète. Qu’est-ce que le zombie, sinon la contrepartie clandestine et ténébreuse de l’euromillion ? Et que sont les sociétés du Sud, sinon les laboratoires privilégiés pour comprendre ce que sont déjà, ou en passe de devenir, les sociétés du Nord ?

Graphes, cartes et arbres

Alors que le « vieux territoire » des études littéraires est soumis aux menaces du déclin et à des procès en inutilité, qu’il n’est plus guère arpenté que par quelques irréductibles, Franco Moretti semble bien décidé à en transformer la topographie avec les outils sauvages de l’objectivation scientifique : les graphes de l’histoire quantitative, les cartes de la géographie et les arbres de la théorie de l’évolution. Les premiers substituent au canon de l’histoire littéraire la totalité de la littérature mondiale. Les secondes donnent à voir les rapports réels et imaginaires que la littérature entretient avec son contexte historico-spatial. Les troisièmes osent une théorie de l’évolution des genres littéraires influencée par Darwin et la biologie contemporaine. Cette « lecture à distance » révèle une autre histoire littéraire : la connaissance des mécanismes de survie littéraire permet d’interroger les limites de notre curiosité pour les livres, de notre horizon culturel et de nos représentations du monde.

Le Retrait de la tradition suite au désastre démesuré

Après des décennies de guerre, de destructions, d’occupations, le monde arabe apparaît comme un monde en ruines. Mais il y a des ruines qui résistent aux reconstructions, les ruines immatérielles qui résultent de « désastres démesurés ». Cette notion renvoie au premier chef aux nombreuses années de guerre qui ont ravagé le Liban, mais elle désigne plus généralement les atrocités du XXe siècle, le génocide rwandais, ou encore la Shoah. L’artiste doit ressusciter le « non-mort » et amener la communauté à prendre conscience de son objet perdu. Il n’y a là nulle trace de nostalgie, nul désir de retour à une origine ou à une tradition authentique. L’artiste se situe ainsi dans le mince interstice séparant la mort de la vie. À travers une analyse essentiellement fondée sur la photographie et le cinéma, l’auteur nous offre une réflexion rare sur les pouvoirs de l’art et sur sa fonction politique, faisant écho aux analyses de Maurice Blanchot, Jacques Derrida, ou Georges Didi-Huberman.

Spectres de Goethe

La notion de « littérature mondiale » a donné lieu, depuis une quinzaine d’années, à des débats parfois très virulents dans un grand nombre de régions du monde. Ce terme désigne-t-il une réalité ou une idée, voire une utopie ? Un patrimoine esthétique universel ou le levier conceptuel d’une analyse critique ? Est-il suspect d’occidentalocentrisme ou permet-il, au contraire, de rendre justice aux cultures littéraires dites périphériques ? La plupart des réponses à ces questions s’autorisent aujourd’hui d’exégèses souvent antagonistes, mais toujours virtuoses, des quelques réflexions parfois sybillines que Goethe a consacrées à la Weltliteratur entre 1827 et 1832. C’est que l’écrivain allemand est unanimement considéré comme le précurseur d’une histoire véritablement comparée ou globale de la littérature. Ces multiples « retours à Goethe » ont pour effet de nous faire oublier que les propositions contemporaines ne sont pas de simples relances d’un projet qui n’attendrait, depuis près de deux siècles, que d’être enfin réalisé. Les réappropriations dont la notion de « littérature mondiale » a fait l’objet entre-temps ne peuvent pas être assimilées à des sortes de faux départs désormais négligeables. Elles tissent au contraire une histoire aux bifurcations méconnues : de Weimar à New York, en passant par Petrograd et Istanbul, de Marx à Moretti, en passant par Gorki, Auerbach ou Said, cet ouvrage relate les métamorphoses d’une ambition tour à tour cosmopolite, militante, éducative, humaniste et critique. Autant d’usages passés qui pèsent sur les controverses actuelles, et dont les traditions concurrentes forment un héritage à la fois méconnu et générateur d’innombrables malentendus.