Alors, la Chine

« J’évite en général de raconter des événements politiques. Ce sont plutôt les événements politiques qui font irruption dans mes films. »
Wang Bing

En 2003, Wang Bing réalise À l’Ouest des rails, documentaire de neuf heures consacré à la fin d’une immense zone industrielle de la Chine. Ce film est aujourd’hui considéré à la fois comme un chef-d’oeuvre et comme un emblème des possibilités offertes par l’avènement du numérique. Wang Bing n’a cessé ensuite de travailler de la même façon, clandestinement et en s’attachant à des sujets pour le moins difficiles : la répression « anti-droitière » (Fengming, chronique d’une femme chinoise et Le Fossé), l’extrême pauvreté (L’Homme sans nom et Les Trois Soeurs du Yunnan), la vie au sein d’un hôpital psychiatrique (‘Til Madness Do Us Part).Dans cet entretien, le cinéaste chinois raconte son enfance, sa découverte de la politique au moment des événements de Tian’anmen, ses études, l’aventure d’À l’Ouest des rails, sa rencontre avec Fengming, les difficultés du Fossé… Il parle longuement de sa conception du cinéma, de sa méthode et des expériences partagées auprès de ceux qu’il filme. Publié à l’occasion de la rétrospective intégrale que lui consacre le Centre Pompidou, Alors, la Chine livre un témoignage incomparable sur la vie et le travail d’un cinéaste majeur. Il comporte également un essai critique d’Eugenio Renzi.

Wang Bing

Wang Bing est né en 1967 à Xi’an, capitale de la province du Shaanxi, au centre de la Chine. Il est l’auteur de six longs métrages: À l’Ouest des rails (2003), Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007), L’Homme sans nom (2009), Le Fossé (2010), Les Trois Soeurs du Yunnan (2012) et ‘Til Madness Do Us Part (2013).

Récits d’une Syrie oubliée

Le récit fait par Yassin al-Haj Saleh de ses seize années de prison en Syrie est plus qu’un témoignage sur l’univers carcéral : il se double d’une analyse approfondie des transformations que la détention a opérées en lui ainsi que d’une réflexion forte sur la culture politique syrienne façonnée par plusieurs décennies de dictature et les difficultés du dialogue entre prisonniers de différentes obédiences politiques. La prison a transformé ce militant de gauche et médecin de formation en écrivain et en observateur lucide de la société syrienne, dont les analyses paraissent régulièrement dans la presse arabe et internationale. L’auteur questionne les notions de liberté et d’aliénation à partir de son expérience carcérale. Il prolonge cette réflexion dans une introduction et une postface où il relate son parcours d’activiste clandestin depuis le début de la révolte syrienne en mars 2011 puis son expérience de l’exil. Il y analyse aussi les formes de l’oubli et de la mémoire sous une dictature qui a envahi de ses symboles et de ses discours tous les recoins de la sphère publique.

La Grande Soif de l’État

Michel Foucault n’a pas la réputation d’être un théoricien de l’État, et pour cause : il a implacablement critiqué les grandes théories de l’État, qu’elles soient philosophiques, marxistes ou juridiques. Contre l’assimilation de la politique à l’État, il entendait analyser les « micro-pouvoirs » là où ils s’exercent – dans l’école, la prison, la caserne, l’usine, la sexualité, la clinique, l’asile, etc. Cet ouvrage ambitieux veut lire Foucault contre Foucault et montrer que ses travaux des années 1970 (en particulier les cours au Collège de France) sont indispensables pour repenser, aujourd’hui, la question de l’État. Il existe bel et bien une théorie foucaldienne de l’État. Bien qu’elle ne soit ni systématique ni achevée, il est possible de la reconstituer tant à partir de la fabuleuse richesse historique et conceptuelle des textes de Foucault qu’en l’obligeant à dialoguer avec de grandes entreprises voisines, venues de la philosophie et des sciences sociales

Arnault Skornicki

Arnault Skornicki est maître de conférences en science politique à Paris Ouest Nanterre et chercheur à l’ISP. Ses recherches portent sur la sociogenèse des libéralismes et de ses critiques, ainsi qu’à la formation des langages de la patrie aux XVIIIe-XIXe siècle. Il est notamment l’auteur de L’économiste, la cour et la patrie. L’économie politique dans la France des Lumières (CNRS Éditions).

L’État, le pouvoir, le socialisme

La réédition de L’État, le pouvoir, le socialisme, « classique » de la théorie politique dont la première édition remonte à 1978, s’inscrit dans les débats concernant les crises simultanées de l’Union européenne, du néolibéralisme et du capitalisme en général. Lire cet ouvrage aujourd’hui permet de comprendre que ces crises plongent leurs racines dans la structure des sociétés occidentales de l’après-guerre. Plus la crise économique s’approfondit, et plus le système devient autoritaire au plan politique. C’est ce que Poulantzas appelle l’« étatisme autoritaire », que l’on constate à présent au niveau européen, où des décisions affectant des millions de personnes sont prises hors de tout contrôle populaire. La seule alternative possible à ce système est le « socialisme démocratique », à savoir un socialisme qui dépasse le capitalisme sans pour autant sacrifier les libertés publiques. Avec Michel Foucault, Gilles Deleuze, et Louis Althusser, auteurs dont il discute les thèses dans cet ouvrage, Nicos Poulantzas compte parmi les penseurs des années 1960-1970 dont le rayonnement international est aujourd’hui le plus important. Alors que l’édition de théories critiques françaises et étrangères a connu une grande vitalité depuis les années 2000, il était plus que temps de faire redécouvrir cet auteur majeur.

Ernst Bloch

Ernst Bloch (1885-1977) est l’un des grands philosophes allemands du XXe siècle. Il est l’auteur d’une œuvre abondante essentiellement axée autour de l’utopie et du messianisme. Parmi ses ouvrages importants, on peut citer L’Esprit de l’utopie (1918) et Le Principe espérance (1954-1959).

Le gouvernement du ciel

L’aviation incarne, dès son invention, le rêve cosmopolitique d’une paix perpétuelle entre les nations de la terre, dont le revers n’est autre que le cauchemar d’une puissance meurtrière sans précédent. Puissance qui s’exerce d’abord à l’encontre de populations jugées un peu trop remuantes par les colonisateurs, dans le cadre d’opération de maintien de l’ordre, avant de s’abattre sur les villes européennes et japonaises, durant le second conflit mondial.
Mais surtout, la guerre aérienne brouille définitivement les frontières entre guerre et paix. Ce brouillage constitue un symptôme de la « démocratisation » de la guerre. Car c’est désormais le peuple que l’on prend directement pour cible, le peuple soutien de l’effort de guerre, et le peuple souverain, identifié à l’État. Ainsi s’enclenche un mouvement politique qui nous conduit aujourd’hui à une gouvernance mondiale sous hégémonie états-unienne, définie par une « guerre perpétuelle de basse intensité », qui frappe pour l’instant des régions comme le Yémen ou le Pakistan mais pourrait s’étendre demain à l’ensemble de la population mondiale.
La guerre aérienne croise ainsi les grands thèmes du siècle passé : la nationalisation des sociétés et de la guerre, la démocratie et les totalitarismes, le colonialisme et la décolonisation, le tiers-mondisme et la globalisation, l’État social et son déclin face au néolibéralisme. L’histoire des bombardements aériens constitue un point de vue privilégié pour écrire une histoire globale du XXe siècle.

Thomas Hippler

Thomas Hippler, philosophe et historien, est maître de conférences à Sciences-Po Lyon. Il est notamment l’auteur de Soldats et citoyens. Naissance du service militaire en France et en Prusse (PUF, 2006) et de Bombing the People: Giulio Douhet and the Foundations of Air-Power Strategy, 1884-1939 (Cambridge University Press, 2013).

École : Mission accomplie

Si l’on met de côté les éternels laudateurs de l’école républicaine – ministres en représentation, sociologues de cour et pédagogues satisfaits –, dont la position commande les propos, on constate qu’aujourd’hui le discours dominant sur l’institution scolaire est empreint d’un formidable pessimisme : l’école est « en crise », tragiquement victime de ses « dysfonctionnements internes ».
Dans École : mission accomplie, Pierre Bergounioux nous invite à reconsidérer posément les termes de l’analyse. Et si, au contraire, l’école n’avait jamais aussi bien fonctionné, manifestant une redoutable efficacité à perpétuer les rapports de domination ?
En revenant en profondeur sur sa longue expérience de professeur de français, au carrefour de la langue et de la littérature, Pierre Bergounioux analyse la manière dont s’est façonné un nouvel imaginaire de l’école : celui de l’« égalité des chances ». Ceux qui échouent sont désormais convaincus de leur indignité, incapables de penser que, peut-être, cet échec pourrait avoir des causes extérieures à eux-mêmes ; les autres, à qui tout réussit, se voient dotés d’une légitimité symbolique nouvelle.
C’est à la fiction d’une société pacifiée, où l’école ne ferait qu’entériner des capacités inégalement réparties, qu’il nous est ainsi demandé de croire.

Entretiens avec Frédéric Ciriez et Rémy Toulouse

Les origines de la postmodernité

Anderson retrace l’histoire de la notion de postmodernité, depuis l’avant-garde littéraire de l’Amérique hispanique des années 1920 jusqu’aux courants post-marxistes européens, avec Lyotard à Montréal en 1979, puis Habermas à Francfort en 1980. En 1982 à New York, Fredric Jameson lui fait subir une mutation fondamentale, en l’utilisant pour montrer la cohérence de notre époque globalisée, dont la caractéristique majeure tient à la subordination tendancielle de la culture à la logique du capital. La sphère esthétique, massivement colonisée, est aujourd’hui incapable de trouver l’espace dans lequel continuer d’exprimer une transgression ou de tendre vers une alternative. Le postmodernisme confine au système parfait, un système en mesure d’intégrer à sa logique ses propres dysfonctionnements.

La totalité comme complot

Poursuivant son enquête critique sur la culture postmoderne, Fredric Jameson s’attache à montrer que le motif du complot est, dans l’imaginaire contemporain, un point de cristallisation des tensions qui agitent nos sociétés. À l’heure de la colonisation définitive de la vie sociale par la marchandise, l’impossibilité où nous nous trouvons de nous représenter le « capitalisme-monde » trouve son expression dans la forme paranoïde du complot. Les films de complot fonctionnent comme un analogon de notre cauchemar quotidien : ce système où l’on n’arrive jamais à en finir de rien, comme disait Deleuze à propos des sociétés de contrôle. Riche analyse filmique et contribution originale à la théorie politique, cet essai porte la « méthode » Jameson à son point d’intensité maximal.

Raymond Chandler

Raymond Chandler, éblouissant styliste et peintre de la vie américaine, occupe une place unique dans l’histoire littéraire, à cheval sur les pulps et le modernisme. Avec Le Grand Sommeil, publié en 1939, il laisse une empreinte indélébile sur le genre policier. Fredric Jameson propose ici une interprétation de son œuvre romanesque en reconstruisant la situation dans laquelle elle s’inscrit et le monde ou la totalité sociale qu’elle projette.