Chris Fujiwara

Directeur artistique du Festival international du film d’Edimbourg, Chris Fujiwara est l’un des critiques les plus renommés au monde. Il est notamment l’auteur chez Capricci d’un ouvrage consacré consacré à la vie et à l’oeuvre d’Otto Preminger et de George Cukor. On/Off Hollywood, ainsi que de The Word and its Double : The Life and Work of Otto Preminger (Faber & Faber). Il a enseigné et donné des conférences sur le cinéma à l’université de Tokyo et de Yale.

Jerry Lewis

Jerry Lewis a eu 90 ans en 2016. Bien que la France – on nous l’a assez reproché – soit sans doute le pays à l’avoir le plus défendu, cela fait plus de trente ans que n’a paru aucun ouvrage en français consacré à son travail. Le souvenir de la grandeur de Lewis semble donc s’éloigner à mesure que l’homme vieillit. Et pourtant Jerry Lewis fut grand, en effet. Il le fut aux côtés de Dean Martin dans une longue série de films tournés à la fin des années 1940 et au cours des années 1950, dont les meilleurs furent réalisés par Frank Tashlin. Et il le fut plus encore lorsqu’ayant terminé son apprentissage, il passa à la réalisation à la fin des années 1950. Les films qu’il signa alors peuvent être appelés des chefs-d’œuvre : The Errand Boy, The Bell Boy, The Nutty Professor, The Ladies Man, The Patsy, The Family Jewels, Three on a Couch… firent de lui le plus grand cinéaste comique des années 1960. C’est principalement à cette période que s’intéresse le critique américain Chris Fujiwara.
Chris Fujiwara propose une lecture extrêmement précise et stimulante des films de Jerry Lewis. Loin de l’image collant encore à la peau de Lewis – celle d’un ahuri plus ou moins drôle –, il invite à découvrir et à admirer un artiste à part entière, inventeur de formes et grand coloriste, épris des possibles du cinéma d’une manière qui évoque Jean-Luc Godard, par ailleurs admirateur fervent.

L’ouvrage est complété par un long et passionnant entretien entre Fujiwara et Jerry Lewis.

Mathieu Capel

Mathieu Capel est docteur en études cinématographiques, maître de conférences en LEA à l’Université Grenoble Alpes. Il est actuellement chercheur pensionnaire à la Maison franco-japonaise de Tokyo. Également auteur de sous-titrages pour le cinéma et le théâtre, sa traduction d’Odyssée mexicaine (éditions Capricci) du cinéaste Yoshida Kijû a reçu le prix Konishi 2014 pour la traduction franco-japonaise.

Le pouvoir des mots

Dans Le Pouvoir des mots, Judith Butler analyse les récents débats, souvent passionnés, sur la violence verbale dirigée contre les minorités, sur la pornographie et sur l’interdiction faite aux homosexuels membres de l’armée américaine de se déclarer tels. Il s’agit pour elle de montrer le danger qu’il y a à confier à l’État le soin de définir le champ du dicible et de l’indicible. Dans un dialogue critique avec J. L. Austin, le fondateur de la théorie du discours performatif, mais aussi avec Sigmund Freud, Michel Foucault, Pierre Bourdieu, Jacques Derrida et Catharine MacKinnon, elle s’efforce d’établir l’ambivalence de la violence verbale (du hate speech) et des discours homophobes, sexistes ou racistes : s’ils peuvent briser les personnes auxquelles ils sont adressés, ils peuvent aussi être retournés et ouvrir l’espace d’une lutte politique et d’une subversion des identités.

La politique du voile

« Ce livre ne traite pas des musulmans de France : il porte sur la perception dominante des musulmans dans le paysage français. Je m’intéresse à la manière dont le voile est devenu un écran sur lequel sont projetés des images d’étrangeté et des fantasmes de dangerosité – dangerosité pour le tissu social français et pour l’avenir de la nation républicaine. Je m’intéresse, en outre, à la manière dont la représentation d’un « autre » homogène et dangereux est venue conforter une vision mythique de la République française une et indivisible. J’explore les multiples facteurs qui alimentent ces représentations fantasmatiques : racisme, culpabilité et peur postcoloniales, idéologies nationalistes, notamment le républicanisme, le sécularisme, l’individualisme abstrait et, tout particulièrement, les normes françaises en matière de conduite sexuelle, considérées comme étant à la fois naturelles et universelles. »

Les Jacobins noirs

Au début de la Révolution française, Saint-Domingue est la plus grande colonie du monde et le plus important marché de la traite européenne des esclaves. Au mois d’août 1791, les esclaves entrent en révolte. Pendant douze ans, ils mettent tour à tour en déroute les Blancs de l’île, les soldats de la monarchie française, une invasion espagnole, une expédition britannique de près de soixante mille hommes et un contingent français identique, commandé par le beau-frère de Bonaparte. La défaite des troupes napoléoniennes, en 1803, permet la création de l’État noir d’Haïti.
C. L. R. James raconte, dans un récit haletant, la seule révolte d’esclaves qui ait réussi, la première lutte anticoloniale de l’histoire et les obstacles immenses dont elle a dû triompher. À sa tête, un esclave porté par les idéaux de liberté et ­d’égalité : Toussaint Louverture. Comment et pourquoi des hommes et des femmes qui, peu de temps auparavant, tremblaient devant les Blancs, se sont-ils organisés en un peuple capable de vaincre les principales puissances européennes de l’époque ? Tel est l’objet de ce classique, qui se voulait une contribution au combat contre l’impérialisme et reste riche d’enseignements pour notre époque.

Rosa la rouge

Rosa Luxemburg est l’une des grandes figures politiques du XXe siècle. Cette bande dessinée retrace, avec intelligence et sensibilité, les différentes étapes de son existence et de son évolution intellectuelle, de sa naissance dans la Pologne tsariste à son assassinat, en 1919, au moment où la révolution allemande est écrasée dans le sang. L’enfance, ­l’adolescence et l’expérience de l’injustice, puis la découverte du militantisme ; les joies et les drames de sa vie personnelle, le handicap dont elle a souffert, sa courageuse lutte pour imposer sa voix de femme juive dans une société patriarcale et antisémite… Tout cela s’inscrit dans le tumulte de la grande histoire, celle de ­l’Europe déchirée par les rivalités nationales et la guerre, celle, aussi, de l’essor du communisme et de l’internationalisme pour lequel Rosa Luxemburg, aspirant à un monde enfin débarrassé de ­l’oppression, se bat jusqu’à la mort.

Joan W. Scott

Joan W. Scott est historienne, professeure à l’Institute for Advanced Study de Princeton. Son travail, principalement consacré à la France, interroge la catégorie de genre et la différence des sexes. Elle a notamment publié en français Théorie critique de l’histoire (2009) et De l’utilité du genre (2012).

Le propriétaire absent

À mi-chemin du reportage et du roman, Le Propriétaire absent peint la vie des paysans à Hokkaido dans les années 1920. Partis défricher et coloniser l’île par milliers après son annexion définitive à la fin du XIXe siècle, ces migrants découvrent les duretés de l’exploitation et de la lutte. Dans cet ouvrage, l’auteur livre, par des voies détournées, quelque chose de sa propre expérience et dénonce les abus de la Hokkaidô Takushoku Bank, qui l’emploie alors et qui s’en sépare quand paraît ce roman à charge. Après la publication du
Bateau-usine, voici un autre ouvrage majeur de la littérature prolétarienne japonaise.

« Les fabriques de conserves, les bâtiments de l’administration coloniale, les grandes banques, les usines de XX, les canaux, les entrepôts, les parcs, les villas, les automobiles, les bateaux à vapeurs, le quai au charbon… tout ça se mélange, ça hurle comme dans un grand tourbillon. À marcher dans cette ville saturée, on en vient même à douter que quelque part dans ce monde puissent exister des ­paysans tout tordus et couverts de boue. Herbe, montagne, épis, rivières, engrais – c’est ça, un village de paysans ! À ceci près que les habitants d’Otaru, ils n’ont peut-être jamais vu de leurs propres yeux, pas même une fois, un vrai paysan. […] La seule chose, c’est qu’on ne peut plus se laisser avoir éternellement comme des “paysans”. »

Les briques rouges

En Espagne, la brique (ladrillo) est bien davantage qu’un matériau de construction. Elle est l’un des rouages essentiel du capitalisme. Elle est au coeur de la crise de suraccumulation que connait le pays depuis le début des années 2000. Située dans la région de la Sagra en Castille, l’enquête au long cours de Quentin Ravelli, issue d’un documentaire cinématographique, parvient à reconstituer la biographie d’une marchandise ordinaire sur laquelle repose un système entier de domination économique et politique.
« Pour Angel, la cinquantaine, le choc est ce jour-là violent : il court, nerveux et angoissé, de l’extrudeuse à la “guillotine”, du “piano” au poste de contrôle. Habitué à la tuile, il a dû se reconvertir à la brique en une matinée. Il tremble, il sue, il s’énerve pour un rien. Derrière lui, un enchevêtrement de tapis roulants grincent et crient en acheminant la terre des carrières, tandis que la grosse caisse du mélangeur d’argile, surnommé le “moulin”, pousse des râles graves qui résonnent sous les tôles à chaque passage de la meule. Devant lui, l’extrudeuse ronronne. Sous pression, elle pousse sans fin un gros ruban d’argile chaud et fumant – une brique infinie, un churro géant. »

Éric Chauvier

Né en 1971 à Saint-Yrieix La Perche en Haute Vienne, Éric Chauvier est un anthropologue français. Auteur de nombreux ouvrages comme Les Mots sans les choses et Les Nouvelles Métropoles du désir, ses enquêtes déconstruisent les situations les plus ordinaires de la vie ­quotidienne.

La petite ville

Depuis la fermeture de son abattoir, de sa mine d’or et de ses usines, la petite ville de Saint-Yrieix la Perche, située en Haute Vienne, connaît une déprise démographique et économique. Les mutations du capitalisme ont produit une ville sans qualité. Dans une enquête anthropologique où se mêlent mélancoliquement l’histoire intime du narrateur et l’histoire sociale des habitants de Saint-Yrieix, Éric Chauvier revient sur les traces de son enfance.

« C’est ici, sur une carte mentale, la mienne probablement, dans un nœud de mémoire, à Saint-Yrieix la Perche, petite ville française du sud du département de la Haute-Vienne, que je suis né (Une nuit de neige et de vent, je m’en souviens comme si c’était hier), le 17 novembre 1971, dans une chambre de la maternité de la ville. Tout au long du xxe siècle naissent en ce lieu des milliers ­d’Arédiens – le nom donné aux habitants de Saint-Yrieix la Perche, étymologiquement référés à Arédius, le saint qui, dit-on, fonda la ville (Ton père était venu à la maternité avec tes grands-parents…). Mais aujourd’hui ce temps est révolu (C’était une nuit très froide), car ce lieu prévu pour donner la vie (Il y avait des congères le long des routes), comme la plupart des usines, comme l’abattoir, comme les magasins du centre-ville, comme les enfants courant dans les rues, criant, riant, explorant ce monde – qui va bientôt disparaître –, a disparu à jamais. »