Société Réaliste

Société Réaliste est une coopérative parisienne de production artistique créée en juin 2004 par Ferenc Gróf et Jean-Baptiste Naudy. Leur travail explore les récits de l’histoire, de l’économie, de l’architecture et de l’art à travers ses signes visuels. Cartographies, typographies, géoglyphes, films, photographies, objets sont quelques-uns des “outils” classiques de la communication institutionnelle que le collectif développe et déconstruit, afin de mener une réflexion autour des politiques de la représentation par le biais d’expositions, de publications et de conférences.

Empire, State, Building

L’ouvrage Empire, State, Building se propose de faire dialoguer différents aspects de la pratique de la coopérative artistique Société Réaliste, fondée à Paris en 2004 par Ferenc Gróf et Jean-Baptiste Naudy.

L’orientation du travail de Société Réaliste est ainsi présentée par Olivier Scheffer, dans sa contribution à l’ouvrage : «  On saura gré à Société Réaliste de remettre la question politique sur le devant de la scène artistique en interrogeant les formes qui sous-tendent les idéologies du monde moderne et contemporain. En déployant un ensemble apparemment hétéroclite d’objets et de théories, presque un cabinet de curiosités politiques, cette jeune coopérative artistique se donne pour tâche de penser les liens entre la production de formes et leur économie. Cette problématique éminemment actuelle, urgente même (comment se construit et se fantasme le pouvoir artistique, financier ou politique ?), conduit à interroger les couleurs et les emblèmes de la Révolution, l’histoire géopolitique des frontières, les conditions d’accès à la nationalité, les phénomènes d’isolation structurelle ou encore la porosité entre les idéologies fascistes et libérales. » Société Réaliste procède à une mise en lumière et une mise en question, une « clinique » et une « critique », des formes de l’idéologie par leur imitation ou duplication parodique. (Société Réaliste a ainsi fondé un « Ministère de l’Architecture », institué une « EU Green Card Lottery » ou encore proposé une collectivisation des banques avec son projet « Over The Counter ». Ses propositions de lois n’ont jusqu’à présent pas été considérées par les institutions auxquelles elles ont été adressées.) Le travail de Société Réaliste s’ancre dans l’étude de l’inscription matérielle – dans le langage, dans l’architecture, dans les institutions – de cette idéologie. Il s’agit, pour reprendre l’expression de Giovanna Zapperi, d’« interroger la modernité et ses mythes, s’attachant à la culture visuelle en tant qu’acteur et matrice idéologique ». Ainsi se révèle la curieuse temporalité de l’idéologie, faite de « retours, de hantises, d’effacements et de répétitions », mais aussi de circulations étonnantes – entre le communisme et le libéralisme, entre les utopies et leur renversement dans le capitalisme. Société Réaliste se nourrit d’histoire, de philosophie, du discours des institutions officielles, et c’est cette multiplicité de sources qui donne à ses productions – textes, œuvres graphiques ou expositions – leur richesse, leur foisonnement et leur pittoresque. Éprouver l’épaisseur temporelle et fantasmatique des formes présentes de l’idéologie ouvre la possibilité d’un jeu, d’une mise en œuvre décalée de ces formes qui nous en révèle le sens et nous en émancipe. Ce décalage et cette exploration, ludique en même temps que profonde, Société réaliste les met en œuvre à travers des expérimentations langagières, typographiques, visuelles, à travers la production de dispositifs ou de structures institutionnelles provisoires.

Empire, State, Building est ainsi un objet à multiples facettes qui se répondent les unes les autres, composé de textes de Société Réaliste et de vues d’expositions ou d’oeuvres graphiques, mais aussi de textes sur leur travail : un texte de l’historienne de l’art Giovanna Zapperi, un autre d’Olivier Scheffer, mais aussi un texte de Jozsef Mélyi.

David Harvey

Chef de file de la géographie radicale, David Harvey est professeur dans le département d’anthropologie de la City University of New York.
Plusieurs de ses livres ont été publiés aux éditions Amsterdam, parmi lesquels Les Limites du capital (2020) et Géographie de la domination (2018).

Le capitalisme contre le droit à la ville

Que peut bien vouloir dire « droit à la ville » ? Cette interrogation est indissociable d’une multitude d’autres questions. Quelle ville voulons-nous ? Quel genre de personnes voulons-nous être ? À quelles relations sociales aspirons-nous ? Quelle vie quotidienne trouvons-nous désirable ? Quelles valeurs esthétiques défendons-nous ? Quel rapport à la nature souhaitons-nous promouvoir ? Quelles technologies jugeons-nous appropriées ? Le droit à la ville ne se réduit ainsi pas à un droit d’accès individuel aux ressources incarnées par la ville : c’est un droit à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à nos désirs les plus fondamentaux. C’est aussi un droit plus collectif qu’individuel, puisque, pour changer la ville, il faut nécessairement exercer un pouvoir collectif sur les processus d’urbanisation. Il importe dans cette perspective de décrire et d’analyser la manière dont, au cours de l’histoire, nous avons été façonnés et refaçonnés par un processus d’urbanisation toujours plus effréné et étendu, animé par de puissantes forces sociales et ponctué de violentes phases de restructurations urbaines par « destruction créative », ainsi que par les résistances et les révoltes que ces restructurations suscitaient. On saisira alors toute l’actualité de la thèse d’Henri Lefebvre : le processus urbain étant essentiel à la survie du capitalisme, le droit à la ville, autrement dit le contrôle collectif de l’emploi des surplus dans les processus d’urbanisation, doit devenir l’un des principaux points de focalisation des luttes politiques et de la lutte des classes. (Cet essai est une version développée et enrichie d’un article publié dans La Revue Internationale des Livres et des Idées n° 9, janvier-février 2009.)

Maurizio Lazzarato

Sociologue indépendant et philosophe, Maurizio Lazzarato vit et travaille à Paris où il poursuit des recherches sur le travail immatériel, l’éclatement du salariat, l’ontologie du travail et les mouvements « post-socialistes ». Il a notamment écrit Puissances de l’invention. La psychologie économique de Gabriel Tarde contre l’économie politique (2002), Intermittents et Précaires (avec Antonella Corsani, 2008),  Le Gouvernement des inégalités. Critique de l’insécurité néolibérale (2008), Expérimentations politiques, et Marcel Duchamp et le refus du travail.

La fabrique de l’homme endetté

La dette, tant privée que publique, semble aujourd’hui une préoccupation majeure des « responsables » économiques et politiques. Dans La Fabrique de l’homme endetté, Maurizio Lazzarato montre cependant que, loin d’être une menace pour l’économie capitaliste, elle se situe au cœur même du projet néolibéral. À travers la lecture d’un texte méconnu de Marx, mais aussi à travers la relecture d’écrits de Nietzsche, Deleuze, Guattari ou encore Foucault, l’auteur démontre que la dette, loin de n’être qu’une réalité économique, est avant tout une construction politique, et que la relation créancier/débiteur est le rapport social fondamental de nos sociétés. La dette n’est pas d’abord un dispositif économique, mais une technique sécuritaire de gouvernement et de contrôle des subjectivités individuelles et collectives, visant à réduire l’incertitude du temps et des comportements des gouvernés. Selon la logique « folle » du néolibéralisme – qui prétend substituer le crédit aux salaires et aux droits sociaux, avec les effets désastreux que la crise des subprimes a illustrés de façon dramatique –, nous devenons toujours davantage les débiteurs de l’État, des assurances privées et, plus généralement, des entreprises, et nous sommes incités et contraints, pour honorer nos engagements, à devenir les « entrepreneurs » de nos vies, de notre « capital humain » ; c’est ainsi tout notre horizon matériel, mental et affectif qui se trouve reconfiguré et bouleversé. Comment sortir de cette situation impossible ? Comment échapper à la condition néolibérale de l’homme endetté ? Si l’on suit Maurizio Lazzarato dans ses analyses, selon lesquelles la dette est avant tout un instrument de contrôle politique et l’expression de rapports de pouvoir, force est de reconnaître qu’il n’y pas d’issues simplement techniques, économiques ou financières. Il nous faut remettre en question radicalement le rapport social fondamental qui structure le capitalisme : le système de la dette.

John Bellamy Foster

John Bellamy Foster est, avec Barry Commoner, James O’Connor et Joel Kovel, une des figures les plus importantes de l’écosocialisme aux USA. Il enseigne la sociologie à l’université de l’Oregon et dirige depuis 2000 la prestigieuse Monthly Review. Il est notamment l’auteur de Marx’s Ecology. Materialism and Nature (Monthly Review Press, 2002).

Frantz Fanon

Si, depuis le début des années 2000, après des années d’occultation, la figure de Fanon fait retour dans les champs académique et militant francophones, c’est avant tout pour célébrer « l’homme d’action », le révolutionnaire, au détriment de « l’homme de pensée », du théoricien. Cette approche presque exclusivement biographique tend à faire de Fanon un dépassé et, par suite, un « dé-pensé ». Elle se révèle en outre étroitement liée à la défiance teintée de méconnaissance à l’égard de la diffusion des études postcoloniales dans les universités françaises.

Il est vrai que, si les études postcoloniales et les études fanoniennes anglophones ont eu l’indéniable mérite de réhabiliter Fanon en tant qu’intellectuel et penseur de tout premier ordre, il est légitime de leur reprocher d’avoir également opéré une certaine décontextualisation tendant à gommer la singularité de l’intervention théorique et politique du psychiatre martiniquais.

Si nous désirons aujourd’hui faire de Fanon notre contemporain, il est donc nécessaire d’aller au-delà du conflit des interprétations qui oppose les figures exclusives du « Fanon anticolonial » (historique) et du « Fanon postcolonial  », au-delà de cet écartèlement entre un passé et un futur qui privent Fanon de tout présent. Il faut s’attacher à comprendre le moment fanonien en tant que moment transitionnel, il faut déceler dans ses écrits le commencement d’un certain postcolonialisme au sein de l’anticolonialisme, d’un postcolonialisme de guerre qui révèle, par contraste, les difficultés de la critique postcoloniale actuelle à théoriser la violence et à penser ensemble, dans la lignée de Fanon, guerre et décolonisation des savoirs. Tel est l’enjeu de ce portrait théorique en situation.

Stéphane Dufoix

Stéphane Dufoix est maître de conférences en sociologie à l’Université de Paris-Ouest Nanterre (laboratoire Sophiapol) et membre de l’Institut universitaire de France. Il est l’auteur de Les Diasporas, Paris, PUF, 2003 et de Les Mots de l’immigration (avec Sylvie Aprile), Paris, Belin, 2009. Il a coédité L’Esclavage, la colonisation, et après…, Paris, PUF, 2005 (avec Patrick Weil), ainsi que Loin des yeux, près du cœur. Les États et leurs expatriés, Paris, Presses de Sciences-Po, 2010 (avec Carine Guerassimoff et Anne de Tinguy).

La Dispersion

Les trente dernières années ont vu le mot diaspora prendre une place considérable dans les discours universitaire, politique, juridique et même journalistique. Ces usages contemporains, qui prennent et construisent diaspora comme un terme représentatif de notre époque « globale », occultent l’histoire complexe d’un mot qui a eu au cours du temps des utilisations fluctuantes, voire contradictoires, bien au-delà de son sens initial intimement lié à l’histoire du peuple juif.

La Dispersion est le contraire d’une tentative de définition, c’est une cartographie des usages de diaspora : de l’émergence des différents emplois du mot, de son appropriation par des groupes sociaux différents, de son succès croissant. C’est l’occasion d’un voyage de plus de deux millénaires sur les traces de ce mot, depuis sa création au IIIe siècle avant l’ère chrétienne jusqu’à ses transformations les plus récentes et son entrée dans le lexique des organisations internationales, en passant par sa réinterprétation par les protestants au XVIe siècle, sa reconfiguration par le mouvement sioniste et son adoption par les mouvements noirs-américains au XXe siècle.

Les usages de diaspora, aujourd’hui dispersés tant géographiquement que sémantiquement, ont très peu été questionnés. C’est désormais chose faite, avec ce travail qui replace la question des usages du mot dans le temps long de ses trajectoires complexes.

Bertrand Ogilvie

Bertrand Ogilvie est professeur de philosophie, psychanalyste, ancien directeur de programme au Collège international de philosophie. Il enseigne à l’Université Paris Ouest Nanterre. Il est l’auteur de Lacan. Le sujet (PUF, 1987), La seconde nature du politique (L’Harmattan, 2012). Il a collaboré à L’Europe, l’Amérique, la guerre d’Étienne Balibar (La Découverte, 2003) et à l’édition des Œuvres de Fernand Deligny (L’Arachnéen, 2007).

L’Homme jetable

L’époque moderne, qui s’est ouverte avec les révolutions industrielles et l’universalisation du salariat, a engendré de nouvelles formes de violence. Parallèlement aux formes classiques de l’affrontement, de la guerre, du massacre, sont apparues des violences structurelles liées à la réorganisation économique et politique de la vie des êtres humains. Un mouvement d’exterminisme généralisé se fait jour, qui instrumentalise et institutionnalise les catastrophes naturelles, et qui organise l’utilisation et la consommation intégrale des forces de travail, la mise à mort de populations entières. Les exterminations des Arméniens, des Juifs, des Tsiganes, et la perspective d’une auto-destruction de l’humanité (avec Hiroshima, le développement d’armes chimiques et les atteintes irréversibles portées à la biosphère) apparaissent ainsi comme des symptômes majeurs du xxe siècle, qu’aucune réflexion philosophique ne devrait négliger. Désormais, la violence ne s’intéresse plus seulement aux comportements des êtres ou à leurs représentations, mais à leur statut même de vivants, à leur simple présence. Il ne s’agit ainsi plus simplement de cynisme et d’absence de préoccupation de l’avenir de la part des pouvoirs : ces formes nouvelles de violence entraînent une chosification systématique des êtres. La violence moderne est une violence naturalisée, rendue irreprésentable, réduite à une simple « gestion ». L’être humain n’est plus seulement superflu ou surnuméraire. Confronté pour la première fois dans l’histoire à la transposition dans le champ politique de l’irreprésentable du réel, à des formes de violences qui tentent de s’imposer comme l’expression d’une nature inéluctable, il est devenu « jetable ».

Eric Hobsbawm

Historien britannique de renommée mondiale, Eric Hobsbawm est l’un des membres fondateurs de la revue Past and Present. Il est notamment l’auteur d’une série de synthèses de référence( L’Ère des révolutions, L’Ère du capital, L’Ère des empires, et L’Âge des extrêmes) ainsi que de travaux consacrés à l’histoire du banditisme social.

L’Invention de la tradition

Depuis sa parution en anglais, L’Invention de la tradition n’a pas cessé d’être cité et commenté, en Grande-Bretagne comme ailleurs. Le concept de « tradition inventée » fait aujourd’hui partie du patrimoine des sciences sociales et de l’histoire. Les différentes études réunies dans ce recueil décrivent comment les États-nations modernes en gestation, mais aussi les mouvements antisystémiques qui se développèrent en leur sein et les sociétés dites « traditionnelles », ont délibérément cherché, souvent avec succès, à réinterpréter radicalement ou à inventer, parfois de toutes pièces, des traditions et des « contre-traditions » pour se légitimer, s’inscrire dans la longue durée, assurer la cohésion de la communauté ou encore garantir le contrôle des métropoles impériales sur les sujets coloniaux.