Homo­nationalisme

Dans le monde de l’après-11 Septembre, l’idéologie du « choc des civilisations » se combine à celle d’un « choc des sexualités ». Nous aurions d’un côté le monde occidental, tolérant et libéral, de l’autre le monde musulman, sexiste et homophobe.

Une part non négligeable du mouvement gay états-unien, en quête d’intégration et de respectabilité, s’est ainsi engagée sur la voie d’une normali­sation « homonationaliste » et soutient les guerres « contre le terrorisme ». Parallèlement, la réception américaine des images de torture d’Abu Ghraib met en évidence les difficultés du féminisme et de la pensée queer à penser les questions de race et d’impérialisme.

C’est à l’analyse de cette intrication complexe entre politique des sexualités et projets impérialistes occidentaux, qui fait pendant à la question de l’instrumentalisation du discours féministe par des politiques racistes et impérialistes, qu’est consacré Homonationalisme.

Nous sommes les indigènes de la république

« La France a été un État colonial… La France reste un État colonial.  » En janvier 2005, l’Appel des Indigènes de la république était lancé, signé par de nombreux militants politiques et associatifs ainsi que des intellectuels. Par la suite structurés en mouvement puis en parti, les Indigènes de la république proposent depuis sept ans une réinterprétation radicale, à travers les catégories de colonialité et de races sociales, des problématiques et des conflits qui traversent la société française : racisme et antiracisme, luttes de l’immigration et des quartiers populaires.

Leur démarche a influencé tant les forces de gauche que les militants de l’immigration et des quartiers et marqué les questionnements de nombreux chercheurs et intellectuels. Cependant, beaucoup encore ne connaissent que leur Appel fondateur, ou quelques uns des nombreux textes qu’ils ont publiés. À travers cette anthologie de textes produits par Houria Bouteldja, Sadri Khiari et d’autres militants des Indigènes, on découvrira une réflexion politique novatrice en mouvement, articulée à une pratique militante qui bouscule le champ, finalement très conservateur, de la gauche antiraciste. Cette anthologie est accompagnée d’un entretien inédit mené par Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem : c’est l’occasion pour Houria Bouteldja et Sadri Khiari de restituer toutes les étapes traversées par le Parti des indigènes de la république et de poser les défis de demain.

Graeme Thomson

Silvia Maglioni et Graeme Thomson sont cinéastes et artistes interdisciplinaires. Leur travail intègre la réalisation de films, d’expositions, d’eventworks, d’émissions radio expérimentales et de publications. Après Facs of Life (2009), ils préparent actuellement leur deuxième long-métrage, Girl from the Nouvelle Vague, ainsi qu’une série de projets artistiques autour de l’Univers Infra-quark.

Silvia Maglioni

Silvia Maglioni et Graeme Thomson sont cinéastes et artistes interdisciplinaires. Leur travail intègre la réalisation de films, d’expositions, d’eventworks, d’émissions radio expérimentales et de publications. Après Facs of Life (2009), ils préparent actuellement leur deuxième long-métrage, Girl from the Nouvelle Vague, ainsi qu’une série de projets artistiques autour de l’Univers Infra-quark.

Un amour d’UIQ

« On se demande toujours s’il n’existerait pas de la vie ou de l’intelligence sur d’autres planètes, quelque part dans les étoiles… mais on ne se pose jamais de questions sur l’infiniment petit… peut-être que ça peut venir de ce côté-là, d’un univers encore plus petit que les atomes, les électrons, les quarks… »

S’il a très peu écrit sur le cinéma, Félix Guattari était cinéphile et s’intéressait aux enjeux politiques du cinéma populaire en tant que machine de subjectivation. Si bien qu’il désire passer à l’action, derrière la caméra, en s’essayant à la réalisation d’un film de science-fiction.

Guattari travaillera sur le scénario d’Un amour d’UIQ, initialement avec le cinéaste américain Robert Kramer, de 1980 à 1987 ; mais le film ne sera jamais tourné… Influencé à la fois par son travail clinique, son engagement dans la politique radicale, sa passion pour les bandes dessinées, les radios libres et les films de science-fiction, Un amour d’UIQ offre un prototype d’un cinéma populaire subversif. Un cinéma qui brouille les codes sémiotiques usagés, en construisant un champ d’affects impersonnels et trans-personnels, ainsi que des devenirs mineurs.

À travers le scénario de Guattari, et un important travail d’archive et critique, S. Maglioni, G. Thomson et I. Mangou donnent à voir le processus de création et tout le hors-champ des possibles de ce film qui n’a jamais vu le jour et interrogent la place de cette pièce, à la manière d’un puzzle, dans l’œuvre de Félix Guattari.

Provincialiser l’Europe

L’Europe n’est plus au centre du monde, l’histoire européenne n’incarne plus « l’histoire universelle », mais ses catégories de pensée et ses concepts politiques continuent de régir les sciences sociales, la discipline historique et nos représentations politiques.

Avoir pour projet de provincialiser l’Europe n’équivaut pas à rejeter la pensée européenne, il ne s’agit pas de prôner une « revanche postcoloniale ». Mais la pensée européenne, aussi indispensable soit-elle, est inadéquate pour appréhender l’expérience de la modernité politique dans les nations non occidentales. Comment s’affranchir de son « historicisme » ? Comment interpréter les faits sociaux sans les contraindre à se conformer au modèle, limité et exclusif, de l’accession progressive de tous, au cours de l’histoire, à une certaine conception de la « modernité » ? L’enjeu est de parvenir à renouveler les sciences sociales, à partir des marges, pour sortir d’une vision qui réduit les nations non européennes à des exemples de manque et d’incomplétude, et penser au contraire la diversité des futurs qui se construisent aujourd’hui.

Ce livre s’y essaie, en décrivant diverses manières d’être dans le monde – de l’intense sociabilité littéraire de Calcutta au rapport complexe des poètes indiens vis-à-vis de la nation, en passant par la façon dont les veuves indiennes ont vécu et fini par faire entendre leurs souffrances –, manières d’être dans le monde qui sont autant d’histoires singulières et fragmentaires, autant de réinterprétations, de traductions et de transformations pratiques des catégories universelles et abstraites de la pensée européenne.

Politique des gouvernés

Dans la majeure partie du monde, la politique n’a pas le visage que nous lui connaissons en « Occident ». Dans les anciens pays colonisés, la « société civile » ne concerne qu’une petite partie de la population, celle que sa position sociale, son éducation et ses valeurs rendent capable et désireuse de participer au jeu démocratique tel qu’il a été défini par la « modernité » politique. Le reste de la population, son écrasante majorité, continue d’être d’abord pour l’État une population à administrer, à gérer, même lorsqu’elle bénéficie du droit de vote.

Mais, à travers l’exemple de l’Inde, Partha Chatterjee montre que s’élaborent, au sein de cette population, et en réaction à la gestion gouvernementale, des formes politiques nouvelles, une « société politique » qui défie les catégories politiques traditionnelles.

Pour la comprendre, pour ne pas la réduire à une « prépolitique », il nous faut reconnaître que nous sommes dans un temps hétérogène, fruit de la rencontre et de la composition des catégories de la modernité politique et, entre autres, de celles de la tradition ou de la religion. Dès lors, s’ouvre l’observation passionnante des luttes politiques qui se développent, souvent à la frontière de la légalité, pour faire reconnaître le droit des gouvernés à redéfinir les politiques qui les visent.

L’exigence d’avoir à inventer les formes, forcément précaires et changeantes, d’une politique des gouvernés pourrait ne pas concerner que les populations anciennement colonisées, tant il est vrai que, depuis le 11 septembre au moins, comme l’analyse Partha Chatterjee, c’est l’ensemble des peuples du monde qui subit la gestion des États-Unis et leur vocation de nouvel empire mondial.

Fabrice Flipo

Fabrice Flipo est philosophe, maître de conférences à Telecom & Management SudParis (Institut Mines-Télécom) et chercheur au Centre de Sociologie des Pratiques et des Représentations Politiques (Paris 7-Diderot). Il a notamment publié Justice, nature et liberté (Parangon, 2007), La Décroissance (avec Denis Bayon et François Schneider, La Découverte, 2010) et La Face cachée du numérique (avec Michèle Dobré et Marion Michot, L’Échappée, 2013).