Pour en finir avec la passion

À l’heure où les procès en cancel culture se multiplient, une approche féministe de la littérature.

Quand il est question de littérature, il y a un motif dont le traitement ne cesse de surprendre : celui de la passion. Confondue – parfois à dessein – avec l’amour, elle est le masque sous lequel se dissimulent toutes sortes d’abus : des manipulations constitutives de la séduction aux situations d’emprise, des dynamiques de harcèlement aux crimes dits « passionnels ».
Cet ouvrage montre comment l’identification des actes des protagonistes d’œuvres littéraires à l’expression d’une « passion » permet d’occulter la question du consentement, celle des rapports de domination et, plus largement, les violences physiques et psychologiques que subissent les femmes. Il souligne la dimension idéologique de l’approche esthétisante des œuvres qui, sous couvert de s’opposer à la cancel culture, passe sous silence le bafouement de la dignité humaine mis en récit.
De Dom Juan à La Princesse de Clèves, des écrits de Choderlos de Laclos à ceux de Marguerite Duras et d’Annie Ernaux, les autrices de ce livre nous invitent à poser un regard lucide sur l’évolution des conceptions culturelles et littéraires dans la société française, ainsi qu’à interroger en profondeur les raisons pour lesquelles l’amour y demeure indissociable de la souffrance.

Antonio Negri

« Le nouveau marxisme de Negri est un rempart contre les dérives post-modernes, contre l’idée d’une fin de l’histoire et de la lutte des classes. Il s’oppose à la représentation de la domination capitaliste comme totale et absolue. »

Cet ouvrage est la première introduction en langue française à l’ensemble de l’œuvre du philosophe et militant Antonio Negri : en effet, ses commentateurs se sont jusqu’à présent en général intéressés exclusivement ou bien à sa période italienne ou bien à ses développements ultérieurs. Son auteur, Roberto Nigro, s’attache à en montrer la cohérence et à la resituer dans ses contextes historiques changeants. Il en souligne le caractère fondamentalement politique, y compris dans ses moments les plus « philosophiques ». Il ne néglige pas les débats qu’elle a suscités, et il relance la discussion sur certaines des thèses de Negri qui ont le plus prêté à discussion. Il insiste sur le dialogue nourri par le philosophe italien avec certains auteurs, en particulier Spinoza, Marx, Althusser, Foucault et Deleuze, pour dégager l’originalité de son intervention dans les champs théorique et politique. Enfin, il insiste sur l’actualité des thèses et des outils conceptuels élaborés par Negri, notamment son affirmation d’un primat de la puissance de la multitude sur toutes les opérations de capture dont elle fait l’objet par les appareils du pouvoir.

La Constitution maltraitée

Pilier de la Ve République, le texte constitutionnel n’en est pas moins maltraité en permanence – et ce, par l’organe même censé en être le garant.

Si l’on évoque souvent la désaffection des Français à l’égard du politique, ce constat n’aboutit que rarement à une critique exigeante des institutions qui alimentent cette dynamique. C’est ce avec quoi Lauréline Fontaine entend rompre, en jetant une lumière crue sur la réalité de la justice constitutionnelle sous la Ve République. Au terme d’une enquête approfondie, elle pose un diagnostic accablant : loin d’être une véritable cour constitutionnelle, le Conseil constitutionnel demeure une instance essentiellement politique. Il ne constitue pas un « contre-pouvoir essentiel », mais une anomalie démocratique.
Au fil d’une réflexion solidement argumentée tant en fait qu’en droit, Lauréline Fontaine défait un à un les mythes qui entourent « les sages de la rue de Montpensier ». Pointant notamment l’absence d’une procédure contradictoire et de garde-fous qui les préservent des conflits d’intérêt, elle démontre que la manière dont la justice constitutionnelle est rendue en France est absolument incompatible avec les principes élémentaires de la démocratie et de l’État de droit.

La copossession du monde

« La propriété ne doit pas être considérée comme la base première de la vie en communauté, mais, au contraire, comme une modalité du commun. »

« La propriété ou le chaos ! » s’écrient en chœur les thuriféraires de l’ordre propriétaire. Parce que, disent-ils, la propriété sépare le tien et le mien, elle protège la liberté individuelle et assure l’harmonie sociale. Condition de l’échange, elle fonde l’activité économique et favorise l’enrichissement collectif. À les écouter, elle n’aurait que des vertus. C’est faire peu de cas de ses funestes conséquences – la pollution et l’épuisement des ressources naturelles, par exemple –, mais c’est aussi abandonner au marché des questions qui devraient relever de la délibération politique.
Or, cet ouvrage le démontre, l’intérêt économique ne se confond pas avec le bien commun. Pour endiguer le creusement des inégalités sociales et la destruction de la planète, on ne peut s’en remettre aux chimères du tout-marché ou de la démocratie de consommateurs. Un radical changement de perspective s’impose : il faut défendre des principes autonomes de justice pour remettre la propriété à sa place et l’envisager non plus comme le socle de la vie en communauté mais, au contraire, comme une modalité du commun intégrant les droits d’autrui et ceux des générations futures.

Intersectionnalité

La notion d’intersectionnalité alimente aujourd’hui l’une des grandes paniques morales dont notre époque est coutumière : à en croire ses détracteurs, sa focalisation sur l’identité ferait d’elle un danger. Rien n’est plus faux, comme le montre ce livre synthétique et vivant, riche d’une variété d’exemples, qui propose une introduction accessible à l’histoire et aux usages du concept.
Instrument d’analyse des situations de tort, l’approche intersectionnelle a d’abord pour ambition de développer une perception fine de la pluralité et de l’imbrication des oppressions. Mais c’est en même temps une praxis critique, se donnant la justice sociale pour horizon : quelle que soit l’échelle à laquelle elle se place, elle vise à transformer le monde. En ce sens, elle est partie prenante des luttes sociales actuelles et passées, et l’héritière des féministes noires et chicanas qui, dans les années 1960, cherchaient à dépasser les points aveugles du féminisme comme de l’antiracisme. Si l’intersectionnalité s’attache aux identités, individuelles et collectives, ce n’est ni par séparatisme, ni pour conforter quelque posture victimaire, mais, à l’inverse, pour œuvrer à l’émancipation de toutes et tous.

Boniments

Du libéralisme aux algorithmes, en passant par le burnout, les transclasses et la trottinette, François Bégaudeau livre, à travers les maîtres mots de l’époque, une analyse implacable de l’idéologie bourgeoise.

« Plus c’est gros, plus ça passe, dit-on, et cela ne vaut pas pour mes bonimenteurs. Comme sa morphologie l’indique, le bonimenteur n’est qu’à moitié menteur. Pour prendre, un boniment doit être un peu vrai. Il est un peu vrai que cet écran est plat, et plus léger – le portant, je le vérifie –, et plus confortable pour les yeux – rivé à lui, je suis confort. Il est un peu vrai que nous autres sujets des régimes capitalistes prototypiques sommes libres de nos mouvements. Nous pouvons nous déplacer autant que le permet notre salaire. Il est un peu vrai qu’un télétravailleur peut disposer de ses horaires. Il n’est pas archifaux que nos élections sont démocratiques. Les marchands ne mentent pas complètement en disant qu’ils créent de la valeur, créent de la richesse. Ils oublient juste de préciser que cette richesse leur revient.
La langue du capitalisme ne doit pas être démasquée, elle doit être passée au crible sec de la précision. »
F. B.

André Tosel

André Tosel (1941-2017) était philosophe, professeur à l’université Nice-Sophia-Antipolis. Reconnu comme l’un des plus grands spécialistes mondiaux de Gramsci, il a notamment publié Kant révolutionnaire. Droit et politique (Puf, 1988), Du matérialisme de Spinoza (Kimé, 1994), Études sur Marx (et Engels). Vers un communisme de la finitude (Kimé, 1996) ou encore Le Marxisme du XXe siècle (Syllepse, 2009).

Le fil de Gramsci

Par-delà les effets de mode, Antonio Gramsci demeure un « célèbre inconnu ». La plupart du temps, sa pensée est caricaturée, réduite à une poignée de formules mal comprises, sur le « surgissement des monstres », par exemple, ou sur l’« optimisme de la volonté ». Pour rendre justice à cette œuvre, André Tosel prend pour fil rouge la philosophie de la praxis qui structure la réflexion politique du dirigeant italien.
Parce qu’il rejetait toute séparation entre théorie et pratique, ce dernier a proposé une théorie de l’État radicalement nouvelle, envisageant la société civile comme l’espace de la lutte pour l’hégémonie. Élaborée en opposition au marxisme soviétique, cette conception élargie de l’État l’a conduit à formuler une nouvelle stratégie révolutionnaire. Le parti, « Prince moderne », se voit alors conférer un rôle inédit : coaliser des forces sociales hétérogènes pour mener une guerre de position contre la classe dominante. Du rôle des intellectuels à la place du jacobinisme dans les processus révolutionnaires, cet ouvrage montre comment s’approprier les armes théoriques que Gramsci nous a léguées.

Du savon et des larmes

Dallas, Dynastie, Les Feux de l’amour… ces titres évoquent un univers désuet, stéréotypé et associé au féminin : celui du soap opera. Né à la radio au début des années 1930, puis transposé à la télévision, il est d’abord financé par des fabricants de produits d’hygiène et d’entretien – d’où son nom saugrenu. Les feuilletons qui en relèvent, diffusés l’après-midi à l’intention des femmes, sont alors construits autour d’un personnage de mère courage qui prodigue des conseils moraux et pratiques à son entourage, à grand renfort de produits dont les mérites sont ainsi vantés aux consommatrices.
Cet ouvrage se veut une invitation à découvrir ce format et son histoire, à l’intersection du capitalisme, des médias et du genre. Si le soap s’est largement transformé au gré des mutations médiatiques, sociales et politiques, il reste une « technologie de genre » qui circonscrit le féminin à la vie domestique et sentimentale. Mais il crée aussi, paradoxalement, des espaces individuels et collectifs de contestation des hiérarchies sexuées, tant par sa narration ouverte, qui permet l’expression de multiples points de vue et ne délivre aucune morale, qu’à travers les sociabilités qu’il suscite.