Daniel Bensaïd,
Walter Benjamin, sentinelle messianique
Écrit peu après la chute du Mur et initialement paru à l’automne 1990, cet ouvrage marque un point d’inflexion majeur dans le parcours tant théorique que politique de Daniel Bensaïd. Jusque-là absente du corpus du philosophe et dirigeant de la LCR, la pensée de Walter Benjamin s’est alors imposée à lui. Elle lui a fourni les points d’appui nécessaires à la réélaboration d’une pensée révolutionnaire et stratégique en période de défaite, au moment où le néolibéralisme hurlait au monde sa propre nécessité et annonçait imprudemment la fin de l’histoire. Il fallait rompre, alors, avec la vulgate positiviste marxiste, qui ne voyait dans l’histoire que la mécanique inexorable du Progrès. Cette conception théologique avait déjà fait bien des dégâts ( très tôt perçus, en plein cauchemar des années 1930, par Benjamin); elle avait été en partie responsable de l’apathie des classes subalternes et de la bureaucratisation « communiste ». Elle était, au début des années 1990, parfaitement homogène au triomphe autoproclamé des « démocraties occidentales ». Il fallait donc, avec Benjamin, revendiquer à nouveau la charge explosive du messianisme juif, s’ouvrir à la théologie et à l’événement, et se tourner vers les vaincus de l’histoire pour les réintégrer aux forces de la révolution à venir. Aujourd’hui, autant sinon plus qu’il y a vingt ans, ce livre de Daniel Bensaïd, en réhabilitant un Walter Benjamin politique (plutôt qu’esthète ou critique comme on le présentait alors), nous encourage à guetter le moment où la bifurcation révolutionnaire devient possible, à devenir, à notre tour, des sentinelles messianiques.